« Sanctions » européennes envers la Turquie et les États ne respectant pas les droits de l’Homme5 minutes de lecture
Cette semaine de mi-décembre 2020 a été marquée par deux temps forts pour la diplomatie européenne, plutôt coutumière de la discrétion que des coups d’éclats. Josep Borrell, haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, a d’abord annoncé la création d’un « régime mondial » de sanctions contre les États dérogeant aux droits de l’Homme. Puis les Vingt-Sept, réunis en Conseil européen, ont de leur côté annoncé des sanctions contre les agissements turcs en Méditerranée. Des avancées présentées comme majeures, mais qui méritent d’être nuancées.
Nouvelles sanctions pour les États portant atteinte aux droits de l’Homme
Une avancée « historique ». Ce sont les mots du haut représentant de l’Union pour les affaires extérieures, Josep Borrell. L’UE a validé un set de mesures restrictives visant à sanctionner les individus ou entités (comme les États) violant les droits humains. Ces mesures appliquées entraîneront une interdiction de pénétrer sur le territoire européen, un gel des fonds de la personne ou de l’entité concernée ainsi qu’une interdiction pour l’Union de mettre à disposition des fonds aux incriminés. La notion de respect des droits humains restant un concept à l’interprétation très libre, il est possible de retrouver les cas de figures désapprouvés dans le communiqué de presse du Conseil de l’UE paru le 7 décembre 2020. En voici quelques exemples :
- Génocide, crime contre l’humanité
- Torture, esclavage
- Exécutions extrajudiciaire et arrestations arbitraires
- Violences sexuelles et/ou à caractère sexiste
S’y ajoute aussi toute violation qui porterait atteinte aux objectifs de la politique étrangère et de sécurité, comme énoncé dans l’article 21 du TUE. Autrement dit, lorsque la promotion de la démocratie, de la dignité humaine et de la Charte de Nations Unies et du droit international ne sont pas respectés.
Le réveil européen face aux offensives d’Erdogan en Méditerranée
Le Conseil européen des 10 et 11 décembre a abordé les récents troubles qui se sont déroulés en Méditerranée avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Voilà plusieurs mois que la Turquie envoie régulièrement un navire de reconnaissance d’hydrocarbures en recherche de gaz, à proximité immédiate de la Grèce et de Chypre. Or, ces eaux « appartiennent » à ces États au regard du droit international maritime. On parle de zone économique exclusive, la ZEE, dans lesquelles s’appliquent les droits grec et chypriote. Ces entreprises de forages sont donc illégales et parfaitement condamnables.
L’Union a alors décidé d’appliquer une première série de mesures légères, comme des restrictions de visas, contre certains représentants turcs. Un autre paquet de sanctions est prévu, si la situation ne s’améliore pas d’ici mars 2021, date à laquelle un bilan des sanctions et des actions turques sera effectué. Mais Erdogan a d’ores-et-déjà annoncé poursuivre ses explorations tant qu’un accord ne sera pas trouvé.
Qu’attendre de ces nouvelles dispositions ?
Un régime de sanctions envers les États qui ne respectent pas les droits de l’Homme, très bien. Mais là où le bât blesse, c’est dans l’unanimité de la décision. L’accord des 27 est nécessaire pour appliquer lesdites mesures. Cela risque de réduire la marge de manœuvre et l’intensité, voire la crédibilité des sanctions. Rappelons la déclaration d’Emmanuel Macron à la conférence de presse qui a suivi son entretien avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, en début de semaine : « Nous avons des désaccords à propos des droits de l’Homme » tout en affirmant que le soutien français au pays ne sera « pas conditionné à ces désaccords », comme indiqué par RFI. Le président égyptien a de plus reçu le plus haut grade de la légion d’honneur de la part du président français. Cet évènement a d’ailleurs eu lieu à l’écart des caméras françaises, les images ne sont disponibles que sur le site internet du gouvernement égyptien. Une séquence diffusée par l’émission Quotidien, regrettant d’avoir eu à « aller sur le site d’un régime autoritaire pour savoir ce qu’il se passe à l’Élysée ».
Concernant le dossier turc, trop de paramètres jouent en défaveur de l’Union pour inquiéter Erdogan. La Turquie est en effet membre de l’OTAN, lui offrant une réelle proximité avec certains États européens. Mais surtout, comme le souligne le quotidien Le Monde, il n’existe pas réellement d’union face à la Turquie :
- La France, dont les rapports avec la Turquie se sont dégradés, défendait nettement les positions grecque et chypriote qui souhaitaient des sanctions plus fermes : embargo sur les armes turques et sanctions économiques.
- L’Allemagne, qui tient absolument à préserver l’accord de 2016 conclu avec la Turquie sur la gestion des flux migratoires, était partisane d’une ligne plus prudente.
- La Hongrie, la Bulgarie, voire même l’Espagne, Malte et l’Italie souhaitaient également des sanctions minimales, en raison de leurs relations multiples avec Ankara : énergie, commerce, matériel militaire.
Au final, des sanctions presque symboliques face au président Erdogan qui, pendant ce temps, se rendait en Azerbaïdjan pour célébrer le succès militaire obtenu sur l’Arménie. Un conflit dans lequel il a apporté son plein soutien, verbal comme matériel, aux Azerbaidjanais. À l’instar, d’ailleurs, de ses interventions en Libye et en Syrie et de ses provocations envers les autorités grecques. Il faudra bien plus que de simples interdictions de visas en Europe pour freiner celui qui se veut « Sultan » méditerranéen.