Erdogan en visite à Chypre-Nord pour défendre la partition de l’île5 minutes de lecture

La République turque de Chypre du Nord a accueilli dimanche 15 novembre 2020 le président de son seul allié, la Turquie. Recep Tayyip Erdogan y a affirmé son désir de pourparlers pour l’île de Chypre mais autour d’une seule idée : deux Etats séparés.

La chute du mur de Berlin et la réunification de la RFA et de la RDA marquaient la fin d’une ère en Europe, celle des divisions entre l’Est et l’Ouest. Et pourtant, dans une île de Méditerranée, un mur sépare toujours une capitale européenne, et un pays en deux. Depuis 1974, Chypre est divisée entre la République de Chypre et la République turque de Chypre du Nord (RTCN).

Le président turc s’est rendu sur l’île le jour de l’anniversaire de la proclamation de la République turque de Chypre du Nord, le 15 novembre 1983. Il a été accueilli par Ersin Tatar, le dirigeant récemment élu de cet Etat non reconnu par la communauté internationale. Ce dernier, candidat soutenu par Erdogan, avait déclaré le 18 octobre après son élection : « Vous n’ignorerez plus les droits du peuple chypriote turc ». C’est dans cette lignée que le président Erdogan a fait son discours ce dimanche dans la partie nord de Nicosie. Il a ainsi affirmé : « Il y a deux peuples et deux Etats séparés à Chypre. Il faut des pourparlers pour une solution sur la base de deux Etats séparés ». Il a rejeté tous les anciens plans qui prévoyaient un Etat fédéral.

Une population multiethnique et divisée

La partition de l’île s’explique par l’hétérogénéité de ses habitants. Elle regroupe sur son territoire des Chypriotes grecs et des Chypriotes turcs. Les deux communautés ont toujours eu leurs propres spécificités avec des langues et religions différentes. Deux visions se sont alors imposées. Les grecs revendiquaient en majorité l’enosis, le rattachement de Chypre à la Grèce. Côté turc, on prônait le taksim, la partition. Pourtant, ils ont longtemps vécu ensemble ou séparés mais répartis sur toute l’île.

Chypre était sous domination britannique jusqu’en 1959, année de répartition des pouvoirs entre les deux communautés. L’accord ne tient pas et en 1963-1964, des violences éclatent. Au cours de grands mouvements de population, les minorités quittent leur territoire pour se réfugier auprès des leurs. Les Chypriotes grecs partent vers le sud et les turcs font le chemin inverse. En juillet 1974, la Grèce lance un coup d’Etat à Chypre. En représailles, l’armée turque intervient sur l’île avec 40 000 hommes. Au cours de cette opération, nommée Attila, l’armée turque prend possession du nord (37 % du territoire). L’année suivante, le leader des Chypriotes turcs déclare la naissance d’un Etat fédéré turc de Chypre. En novembre 1983, il déclare l’indépendance et proclame la RTCN.

Depuis la partition de 1974, rien n’a bougé sur l’île. Les différentes résolutions de l’ONU sont ignorées, et les plans sont refusés par le leader du Nord. En 2004, ce sont les Chypriotes grecs qui refusent le plan Annan et la réunification de l’île en deux nations au sein d’une République unie. Les problèmes mis en avant par le côté grec étaient alors multiples : retour des réfugiés, colons turcs, présence de l’armée turque et système politique pas représentatif de la démographie. En 2017, une tentative de dialogue a eu lieu à Crans-Montana en Suisse mais Nicosie a réclamé le retrait des troupes turques avant toute négociation et Ankara a refusé. On compte encore aujourd’hui 30 000 soldats turcs sur place.

Aujourd’hui encore, seuls quelques points de passages permettent de passer du sud au nord de l’île. Pourtant, depuis l’intégration de Chypre dans l’Union européenne en 2004, la partie nord de l’île est aussi juridiquement dans l’Union même si de facto elle n’a pas de représentants. La partie Sud ne peut cependant pas intégrer l’espace Schengen. La République de Chypre refuse en effet de contrôler cette frontière car le faire équivaudrait à reconnaitre la RTCN.

La provocation turque

La visite du dirigeant turc a été considérée comme une provocation après les récents incidents dans les eaux territoriales chypriotes. L’envoi d’un navire de reconnaissance à la recherche d’hydrocarbures avait provoqué l’indignation des dirigeants de l’Union européenne. Sur ce sujet, Recep Tayyip Erdogan a déclaré dimanche que ses prospections continueraient tant qu’un « accord équitable » n’aura pas été conclu.

Autre facteur de tension, le « pique-nique » prévu par le président turc dans une ville symbole de la partition de l’île, la station balnéaire de Varosha. Même si le projet est finalement tombé à l’eau, ou plutôt sous les trombes d’eau, un discours a quand même eu lieu dans ce quartier de la ville de Famagouste. La cité fantôme, appelée « Maraş » par les turcs, a été rouverte partiellement en octobre par les forces turques. Ses habitants avaient du tout abandonner après l’invasion de l’île en 1974. La ville avait été auparavant décrétée zone interdite et l’armée turque y interdisait l’accès, même aux observateurs de l’ONU. La réouverture du « Saint-Tropez chypriote » apparaît comme une nouvelle insulte de la part de Chypre-Nord. La République de Chypre militait pour la restitution de la ville ou son administration par l’ONU.

La présence du président turc n’est pas non plus du goût de tous les Chypriotes du Nord. Plusieurs centaines de personnes ont manifesté pour dénoncer « l’ingérence de la Turquie » et pour protester contre la venue de Recep Tayyip Erdogan. Pour le président chypriote, Níkos Anastasiádis, la visite du dirigeant turc constitue « une provocation sans précédent ». La Grèce a aussi condamné la visite qui est pour elle une violation directe des résolutions (notamment 550 et 789) du Conseil de sécurité de l’ONU.

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Avec Léo et Tony, Paul a fondé Causons d’Europe. Il se définit pourtant comme le membre le moins actif du triumvirat. Âgé de 23 ans, il est étudiant en journalisme, et profite des articles qu’il rédige pour partager ses passions comme le sport ou la géopolitique. Il apprécie également mettre à l’honneur des pays ou des régions parfois méconnus du grand public.