Maia Sandu élue présidente en Moldavie, le virage proeuropéen et anticorruption5 minutes de lecture

Cette fois-ci, elle tient sa revanche. Après avoir échoué en 2016 face au même candidat, Maia Sandu a remporté dimanche 15 novembre 2020 l’élection présidentielle avec 57,7 % des voix. Elle devient la première femme présidente de la république de Moldavie.

Dans ce petit Etat d’Europe de l’Est, grand comme la Belgique, le président socialiste, Igor Dodon, accusé de corruption, affrontait la candidate de centre droit du Parti action et solidarité, Maia Sandu. Déjà en tête au premier tour avec 36,2 % des votes contre 32,6 %, l’ancienne Première ministre de 48 ans a déjoué les sondages préélectoraux pour l’emporter avec 57,7 % des voix au second tour.

L’élection de la candidate marque peut-être un tournant dans l’histoire du pays. Son programme politique axé autour de la lutte contre la corruption a pour but d’assainir le pays. Ancienne économiste à la Banque mondiale, ministre de l’éducation puis Première ministre, elle milite pour une réforme des institutions. Au cours de son mandat de chef du gouvernement de juin à novembre 2019, elle avait entamé une réforme de la justice. Elle tentait d’imposer un procureur général indépendant, une menace pour un grand nombre d’oligarques du pays qui avaient précipité sa chute. Pour Cristina, jeune moldave qui travaille aujourd’hui à Genève, c’est cet axe de son programme qui est le plus désiré : « C’est ce qu’elle a promis le plus, de combattre la corruption à tous les niveaux, de réformer le système et de condamner les malfaiteurs. Depuis près de trente ans, ils volent l’argent public, y compris les aides externes ». Un scandale avait notamment éclaté en 2015, avec un milliard de dollars qui avait disparu des caisses des trois branques nationales, soit plus de 12 % du PIB total du pays.

Une candidate proeuropéenne

Son programme politique était proeuropéen, contrairement à celui de son adversaire, prorusse et soutenu par Vladimir Poutine. Igor Dodon a, en effet, profité du soutien du président russe qui souhaitait garder son influence dans cette ex-république soviétique, indépendante depuis 1991. Il avait d’ailleurs promis au président sortant une aide financière de 200 millions d’euros pour aider les fermiers qui ont souffert de la sécheresse cette année. La candidate proeuropéenne était quant à elle tournée vers l’Union européenne, avec qui la Moldavie possède un accord d’association depuis 2014. Les deux entités avaient conclu un accord de libre-échange complet et approfondi.

Maia Sandu n’est pas la première candidate à se présenter sous l’étiquette proeuropéenne mais les précédents n’avaient pas été concluants. Pendant près d’une décennie, le pays a été sous influence de l’oligarque Vladimir Plahotniuc. L’homme le plus riche de Moldavie était lui aussi plutôt proeuropéen, mais en mauvais termes avec Bruxelles malgré l’accord de 2014. Sa chute avait d’ailleurs été provoquée par l’alliance entre les deux adversaires du week-end : Maia Sandu et Igor Dodon.

La diaspora moldave, tournant du scrutin

L’un des facteurs majeurs pour ce vote, ce sont les électeurs moldaves vivant à l’étranger. La population du pays est estimée à 3,5 millions d’habitants mais on compte près d’un million de Moldaves qui ont émigré à la recherche d’une vie meilleure. En 2017, le PIB/habitant du pays en parité de pouvoir d’achat était le plus faible d’Europe. Poussés par la pauvreté, ils partent à la recherche d’un emploi à l’étranger. La question se pose également pour la fuite des cerveaux dont la Moldavie aurait bien besoin pour se reconstruire. L’argent envoyé par la diaspora à leur famille représenterait 15 % du produit intérieur brut. Ces émigrés ont voté majoritairement pour la candidate du Parti action et solidarité, notamment ceux qui vivent désormais en Europe. La candidate a annoncé vouloir construire un Etat qui puisse offrir aux jeunes une autre perspective que l’exil. Pour Cristina, en Suisse, ce travail va être long : « Je pense qu’il va falloir énormément de temps pour reconstruire l’économie du pays. C’est la seule condition pour rendre le pays à nouveau « attirant » pour les jeunes ou pour la diaspora qui est partie de façon temporaire ». Les Moldaves installés en Russie se sont quant à eux tournés vers le candidat prorusse.

Le scrutin a été marqué par la crainte de fraudes. Ce sont notamment les cars transportant les électeurs installés en Transnistrie qui ont inquiété car on considère l’organisation de ces transports comme des achats de voix. Moscou avait porté la question de la fraude au premier plan après l’intervention de l’ambassadeur des Etats-Unis à Chisinau. Celui-ci avait demandé aux candidats de garantir « un processus électoral libre et équitable ». Moscou y avait vu une manœuvre politique et Sergueï Narychkine, directeur du Service des renseignements extérieurs de la fédération de Russie (SVR), avait accusé l’Occident de vouloir instaurer un « scénario révolutionnaire », similaire à ce qu’il se passe au Kirghizistan ou en Biélorussie. Finalement, le candidat socialiste a quand même reconnu sa défaite. Vladimir Poutine a quant à lui félicité Maia Sandu : « J’espère que votre activité à la tête de l’Etat contribuera au développement constructif des relations entre nos pays ». La candidate souhaite évidemment conserver des liens cordiaux avec la Russie pour notamment tenter de régler la situation de la Transnistrie, région sous influence russe qui a fait sécession en 1991.

La tâche de la nouvelle présidente s’annonce semée d’embûches face à un Parlement toujours dominé par les députés prorusses. Il lui faudra obtenir cette majorité lors de probables élections anticipées pour pouvoir affirmer son pouvoir.