Le Parlement européen demande la fin des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union5 minutes de lecture

Le Parlement européen a adopté lors de la dernière séance plénière une résolution au sujet de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Le vote du texte est sans appel. 480 des 705 eurodéputés se prononcent en faveur d’une suspension des négociations d’adhésion.

Une intégration impossible de longue date

Ce texte non-contraignant s’ajoute à tous les rebondissements qui accompagnent une éventuelle intégration turque à l’Union depuis les débuts. Pourtant, tout semblait bien commencer. La Turquie intègre le Conseil de l’Europe en 1950 puis l’OTAN en 1952. Elle conclue même un accord d’association puis une union douanière avec la CEE puis l’UE, en 1963 et 1995. Quatre ans plus tard, le Conseil européen accepte la demande d’adhésion turque, déposée en 1987. Avec le recul, cela paraît déjà long. En effet, il a fallu une petite quinzaine d’années pour que les pays d’Europe de l’Est intègrent l’Union. Dans le cas turc, il en a fallu douze pour seulement accepter la candidature.

Mais rapidement, les négociations tournent au vinaigre et les différends historiques remontent à la surface. D’abord, en 2005, la Turquie refuse d’appliquer le protocole d’Ankara, un document organisant les relations avec l’Union. Celle-ci déclare un premier gel des négociations. Puis en 2012, c’est la Turquie qui s’y met. En cause, la présidence du Conseil de l’Union européenne, assurée par Chypre. Les contentieux historiques récents avec l’île poussent la Turquie à stopper le processus d’adhésion. En face, certains chefs d’Etats membres étaient catégoriques vis-à-vis de la situation. En Allemagne, Angela Merkel estimait en 2017 que la Turquie ne devait pas adhérer à l’Union. Même son de cloche en France, de la bouche des présidents N. Sarkozy et E. Macron. Le bilan des négociations est à l’image de leur conduite. Sur 35 chapitres à examiner, 16 ont été ouverts et seulement 1 a été conclu.

Les autorités turques entre autoritarisme interne et agressivité externe

Les derniers développements en Turquie et sa politique étrangère ont sans doute amené les eurodéputés à mettre un terme à des négociations qui tournaient au fiasco. Ils rassemblent l’ensemble de leurs griefs dans cette résolution.

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Les dérives du pouvoir d’Erdogan

Concernant les affaires intérieures, le texte relève de façon globale toutes les caractéristiques d’un Etat autoritaire. Le renforcement des pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan, ses discours ultranationalistes et l’indépendance de plus en plus entravée de la justice inquiètent les parlementaires. Ils pointent également une érosion de la démocratie et des droits de l’homme. La critique du gouvernement, qu’elle émane de militants ou de journalistes, peut conduire à l’emprisonnement. Dernièrement, la répression de manifestations étudiantes et des minorités sexuelles a fait couler beaucoup d’encre. D’autres griefs concernant la Turquie sont toutefois valables au sein même des Etats membres. Les dérives hongroise et polonaise concernant l’état de droit, la non-application des arrêts de la CEDH ou l’application très large des lois anti-terroristes en sont de bons exemples. Pointons également la conversion de la basilique Sainte-Sophie en mosquée qui a donné lieu à une nouvelle querelle diplomatique.

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L’implication dans des conflits locaux

Sur la scène internationale, les autorités turques mènent une politique agressive là où l’Union s’entête, sans doute naïvement, à ne pas engager un rapport de force. Elle y gagnerait, au vu de ses atouts économiques. Mais ce qui froisse l’Union c’est l’attitude turque dans les conflits régionaux.

En Méditerranée, l’Union a lancé l’opération maritime Irini qui vise à faire respecter l’embargo sur les armes en Libye. Dans le même temps, la Turquie y a déployé ses troupes et livré des armes. En 2020, elle a effectué une campagne de forages maritimes jugés illégaux car situés dans les eaux territoriales grecques et chypriotes. Au Proche-Orient, là où l’Union apportait un soutien aux combattants rebelles contre le régime de Bachar Al-Assad, la Turquie s’en prenait aux Kurdes syriens qui luttaient également contre les autorités syriennes. Fin 2020, elle a pris position nette aux côtés de l’Azerbaïdjan dans le conflit qui l’opposait à l’Arménie. Les deux Etats étaient entrés à nouveau en conflit après des heurts dans le Haut-Karabagh, une région d’Azerbaïdjan majoritairement composée d’Arméniens. Lorsque l’Union appelait au calme, Erdogan soutenait ouvertement le président azéri Ilham Aliyev. La question toujours sensible du génocide arménien était alors de retour, la Turquie refusant de se plier à la réalité historique d’une des pages les plus sombres de son histoire.

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Peu d’impact sur le futur des relations entre l’Union et la Turquie

L’impact de ce texte devrait rester réduit pour plusieurs raisons. En premier lieu, puisque ce n’est pas le premier document qui fait ces reproches aux autorités turques. Il fait simplement un état de lieux de négociations dont chacun sait très bien implicitement qu’elles sont une perte de temps, à court comme à moyen terme. La Commission doit d’ailleurs décider quel sort lui donner et peut très bien le balayer. En second lieu, car il y a eu des tensions de plus grande ampleur : insultes d’Erdogan à l’égard de Macron, manœuvres militaires en Méditerranée, sans oublier le fameux sofagate qui a fait scandale début 2021. En dernier lieu, puisque les liens les plus importants qui lient l’Union et la Turquie demeureront : l’accord sur les migrants et réfugiés de 2016 et l’union douanière de 1995 notamment.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.