Rapport 2020 de la CEDH #2 : La situation des droits de l’homme dans les pays non-membres de l’Union européenne5 minutes de lecture

La Cour européenne des Droits de l’Homme a publié fin janvier 2021 son bilan d’activité pour l’année 2020 sous forme d’un rapport de plus de 180 pages. Causons d’Europe vous propose un panorama des statistiques de l’année passée, assorties d’explications. Cela ne constitue pas le corps de texte du rapport, mais donne un aperçu des domaines d’intervention de la Cour.

Comme nous l’avions rappelé dans notre article consacré aux plaintes déposées par des manifestants de la place Maïdan de Kiev entre 2013 et 2014 et dans la première partie de commentaire du rapport, la CEDH est une juridiction. Elle est rattachée au Conseil de l’Europe, une organisation internationale rassemblant 47 Etats. Ces Etats sont signataires de la Convention européennes des droits de l’Homme, entrée en vigueur en 1953. Le Conseil et la Cour sont chargés de surveiller le respect de cette Convention par les Etats signataires. Au besoin, la Cour traduit en justice les requêtes déposées par des requérantes et requérants envers ces Etats. Précision importante, les arrêts de la Cour sont déclaratoires, c’est-à-dire qu’ils rappellent les Etats à l’ordre en cas de condamnation, mais ils ne les sanctionnent pas.

Russie, Turquie, Ukraine : le podium des violations des droits de l’Homme

Ces trois Etats non-membres de l’Union européenne rassemblent plus de la moitié des arrêts rendus par la Cour en 2020. Les autorités russes ont été condamnées 173 fois en 2020 dans des arrêts relevant au moins une violation de la Convention, 85 fois pour Ankara et 82 fois pour Kiev. Les motifs de condamnation sont très nombreux : traitement inhumain et dégradant, droit à la vie, torture, droit à la liberté, liberté d’expression, droit à un procès équitable. Les statistiques sur le long terme sont encore plus inquiétantes. La Russie et l’Ukraine ont ratifié la Convention récemment, mais elles en sont déjà respectivement à 2724 et 1465 affaires rendant compte d’au moins une violation.

Il faut dire que ces trois Etats sont aujourd’hui dans des contextes politiques particuliers. En Ukraine, le conflit qui a démarré en 2013 et s’est propagé dans tout l’Est du pays (la région du Donbass), est encore actif. En Russie, Vladimir Poutine dirige le pays d’une main de fer depuis les années 2000. Sa politique de redressement du pays se caractérise par un certain autoritarisme. Les opposants sont rares, les journalistes dissidents étroitement surveillés et les droits des minorités sexuelles sont minimes, voire non respectés. En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan a engagé un virage autoritaire depuis la tentative de coup d’Etat du 14 juillet 2016. Les pouvoirs publics ont été purgés de l’opposition, des journalistes et opposants politiques sont emprisonnés, les droits des minorités bafoués.

La Cour a multiplié les arrêts qui confirment ces caractéristiques des situations politiques ukrainienne, russe et turque. Quelques exemples.

  1. Affaire Selahattin Demirtaş c. Turquie. Le requérant est un membre d’un parti politique pro-kurde détenu dans les prisons turques. La Cour a relevé des violations de l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 10 (liberté d’expression), 18 et de protocoles annexes de la Convention par la Turquie et a demandé la libération immédiate de Selahattin Demirtaş. Dans la foulée, la Cour était victime d’une cyberattaque, selon un communiqué de presse du 23 décembre 2020. La Turquie a également été condamnée pour la détention d’un journaliste opposé à la politique du président Erdogan.
  2. Le 14 janvier 2021, la Cour a présenté ses décisions relatives à l’action de la Russie lors de l’annexion de la Crimée, en 2014. Elle relève des débuts de preuves pour démontrer : disparitions forcées, détentions illégales, imposition de nationalité russe, fermeture de médias non-russes, harcèlement de responsables religieux non-orthodoxes -l’orthodoxie étant la religion majoritaire pratiquée en Russie – et pratiques contre les Tatars de Crimée, une minorité. Ouest France relève le cas exceptionnel de cette décision, dans le sens où elle oppose un Etat à un autre.

A côté de ces trois mastodontes, notons tout de même les 28 arrêts condamnant la Moldavie, les 37 concernant l’Azerbaïdjan et les 14 au sujet des autorités arméniennes.

Remettre le rôle de la Cour en question

Trois questions peuvent être posées au sujet du rôle de la Cour. D’abord, l’énorme masse de requêtes pendantes que la Cour doit traiter. Les cartes ci-après reprennent l’ensemble des requêtes pendantes concernant les 47 Etats signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme. Un peu plus de 60 000 requêtes doivent être analysées et classées par la Cour : irrecevables, ou recevables avec une décision de justice à apporter derrière. De fait, la valeur des arrêts rendus par la Cour y perd. Les affaires classées en 2020 que nous avons évoquées traitent de fait qui remontent parfois à près d’une dizaine d’années.

De ce problème découle évidemment de futurs retards sur les requêtes à venir. La Cour a été très sollicitée en 2018 et 2019 au moment des « actes » les plus remarqués des Gilets Jaunes en France. En Russie, les manifestations en soutien à Alexeï Navalny, opposant à Vladimir Poutine, ont été le théâtre de plusieurs milliers d’arrestations. Et il en va de même pour tous les pays signataires de la Convention, qui connaîtront forcément des troubles. La Cour a par ailleurs annoncé placer en priorité trois dossiers : les droits des demandeurs d’asile et des migrants ; les droits des femmes ; l’environnement. Autant de domaines qui amèneront sans doute plusieurs milliers de requêtes dans les années à venir.

Enfin, le caractère même des arrêts de la Cour, déclaratoires. Sans force de contrainte, ces arrêts ne sont que des rappels à l’ordre aux Etats signataires. Dès lors, il faudrait sans doute réfléchir à revoir les décisions prises par la Cour, vers des arrêts contraignants qui seraient dits exécutoires. C’est déjà le cas pour la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, dont les arrêts doivent obligatoirement être appliqués.

 

Lecture des cartes : Par exemple, la Cour compte en 2020 13 645 requêtes à traiter concernant la Russie.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.