L’Eurovision, miroir des tensions historiques et identitaires entre Bulgarie et Macédoine du Nord4 minutes de lecture

Les autorités bulgares et macédoniennes s’écharpent autour de la candidature de Vasil Garvanliev à l’Eurovision 2021. Ces tensions, loin d’être liées à des rivalités artistiques, reflètent en réalité des questions nationales et d’identité profondes.

Choisir entre Bulgarie et Macédoine du Nord

Fin mars, Euractiv relatait le traitement réservé à Vasil Garvanliev, un chanteur censé représenter la Bulgarie lors de l’Eurovision. La cérémonie aura lieu à la mi-mai à Rotterdam, aux Pays-Bas. Tout d’abord, la controverse autour de l’artiste débute dans le clip du titre Here I Stand, tourné en Macédoine du Nord. Certaines personnes relèvent dans la vidéo les couleurs du drapeau bulgare. V. Garvanliev est alors malmené par une partie de la population macédonienne.

En face, la Bulgarie se plaint du traitement réservé à celui qui va représenter le pays à l’Eurovision. En effet, le chanteur est bi-national. Il est né en Macédoine du Nord mais son père est bulgare. Mais cette affaire semble le dépasser, lui qui a nié toute provocation dans le tournage du clip et plaidé la maladresse. La Commission de la radio et de la télévision macédonienne s’empare du dossier. A priori, V. Garvanliev devrait finalement représenter la Macédoine du Nord à l’occasion de l’Eurovision.

Différends historiques et identitaires

Cet affrontement sort nettement d’une potentielle rivalité artistique. En revanche, elle cristallise les tensions persistantes entre les deux Etats est-européens. D’abord, les deux pays ne parviennent pas à s’entendre sur des faits historiques majeurs. Cette absence de consensus nourrit d’ailleurs les nationalismes de part et d’autre de la frontière. Les Bulgares estiment que leur histoire est commune à celle de la Macédoine du Nord, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. A ce moment là, la Macédoine du Nord constitue l’une des républiques de la fédération de Yougoslavie. Autre exemple, la personne de Gotsé Deltchev. Révolutionnaire opposé à la domination ottomane, il enseignait dans une école bulgare qui, aujourd’hui, est située en territoire macédonien. Ainsi, des rues, des écoles ou des villes portent son nom dans les deux Etats, qui cherchent à s’approprier sa figure.

Au-delà de cet aspect historique, il est également question de la langue. Toujours du côté de Sofia, on estime que la langue macédonienne serait un dialecte bulgare et non pas une langue à part entière, composante de l’identité macédonienne. Ces éléments se ressentent en dehors de la sphère politique, les pays de l’Est de l’Europe étant beaucoup plus sensibles aux questions d’identité que dans les pays de l’Ouest. 79% des Bulgares estiment que la population macédonienne ment en refusant de reconnaître les origines bulgares du pays. Et comme souvent, ces enjeux sont exploités par les nationalistes de tous bords à des fins de politique intérieure.

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Une affaire à dimension européenne

Enfin, la querelle dépasse l’échelle et a son importance à l’échelle européenne. La Bulgarie est membre de l’Union européenne depuis 2007. La Macédoine du Nord est quant à elle pays candidat depuis 2005. Tous les Etats membres se sont entendus pour un futur élargissement de l’Union vers les pays balkaniques et donc, vers la Macédoine du Nord. Sauf un, la Bulgarie. Tant que ces désaccords historiques et identitaires demeureront, Sofia usera de son droit de veto. Sans elle, pas d’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union. Une commission composée d’historiens des deux Etats a d’ailleurs été mise en place en 2017 afin de s’entendre sur ces questions. Le Premier ministre bulgare, Boïko Borissov et son homologue macédonien Zoran Zaev réitèrent régulièrement leur espoir de déboucher sur un compromis historique qui provoquerait une levée de veto bulgare. La réélection, le 4 avril dernier, de B. Borissov, devrait permettre d’avancer dans la résolution du problème.

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Du côté européen, l’Allemagne n’est pas parvenue à dégripper la situation au cours de sa présidence de l’Union. Le Portugal assume cette responsabilité depuis le mois de janvier et jusqu’au mois de juin. Ce seront ensuite la Slovénie – également Etat balkanique – et la France qui lui succéderont pour six mois. Cependant, on voit mal comment des personnes autres que bulgares ou macédoniennes, qui comprennent et vivent ces enjeux historiques et identitaire pourraient s’impliquer dans un dialogue éminemment nationaliste.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.