Cédric Herrou relaxé, fin d’une épopée judiciaire pour la défense de la solidarité envers les migrants5 minutes de lecture

Cédric Herrou, agriculteur des Alpes maritimes, vient d’être relaxé après cinq ans de bataille judiciaire. Cinq ans passés à défendre la solidarité et la fraternité, au cours desquels son attitude a contrasté avec l’incapacité du personnel politique français européen à s’entendre sur la question migratoire.

2016-2017, du tribunal de première instance à la Cour de Cassation

A travers un simple tweet, Cédric Herrou résume la complexité d’un dossier qui a rythmé sa vie de 2016 à aujourd’hui. Tout part d’une découverte de la gendarmerie, à Saint-Dalmas-de-Tente, dans les Alpes Maritimes, de 57 personnes, dont 29 mineurs, dans un ancien entrepôt. Le local, que la SNCF occupait avant d’être laissé à l’abandon, abritait ces migrants. L’enquête mène à la piste de Cédric Herrou, un agriculteur. qui les aurait rassemblés dans l’entrepôt. Par ailleurs, il aurait convoyé des migrants depuis la ville italienne de Vintimille. D’abord, la justice tranche en première instance. C. Herrou écope de 3 000 € d’amende avec sursis. Son appel alourdit la peine, qui passe à 4 mois de prison avec sursis en août 2017, à l’issue de la décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Deuxième condamné, Pierre-Alain Mannoni, chercheur, pour « aide et transport » de trois migrantes originaires d’Erythrée.

2018, le Conseil Constitutionnel consacre le principe de fraternité

Nous ne sommes alors qu’au début d’un feuilleton judiciaire loin d’être terminé. Car, ensuite, C. Herrou se pourvoit en Cour de cassation et l’affaire entre dans la sphère politique. En effet, le Conseil constitutionnel, est saisi pour une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : « la solidarité est-elle un délit ? » Pour reprendre les mots du principal intéressé dans son tweet du 31 mars. C’est chose faite en juillet 2018, avec la consécration du principe de fraternité : liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national« . C’est précisément le cas pour Mrs Herrou et Mannoni, qui ont accueilli des migrantes et migrants sans motivation aucune. Si ce n’est la fraternité.

La loi asile-immigration, promulguée quelques mois après, reprend la décision du Conseil Constitutionnel : « l’aide à la circulation ou au séjour irrégulier d’un étranger ne peut pas entraîner des poursuites pénales lorsqu’elle n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ».

2018-2021, dernières condamnations puis relaxe définitive

Suite à la décision du Conseil Constitutionnel, la Cour de Cassation annule le jugement initial et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Lyon, pour un nouveau procès. Le 13 mai, elle relaxe Cédric Herrou. D’une part, pour le convoi de migrants. D’autre part, pour leur installation dans l’ancien entrepôt de la SNCF. Précisons qu’il avait également accueilli des migrants à son domicile. Finalement, le 31 mars 2021, la Cour de Cassation relaxe définitivement l’agriculteur.

Des confrontations politiques ont bien sûr émaillé ces cinq années de procédures judiciaires. La question migratoire est facilement inflammable et l’opposition entre Herrou, ses partisans et les autorités de l’Etat ont parfois tourné court. Notamment avec le député Eric Ciotti (LR). Celui-ci avait réagi au refus de l’Italie d’accueillir le navire humanitaire Aquarius, qui transportait 630 migrants provenant de Libye. Le député estimait qu’il fallait les ramener en Libye. Suite à cela, C. Herrou avait qualifié Ciotti de « porc ». Une insulte qui visait, selon lui, à attirer l’attention sur les propos de l’élu plus qu’à l’insulter. Nouveau passage devant les tribunaux.

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Le traitement des demandeurs d’asile et migrants en France

La frontière franco-italienne est un lieu très emprunté par les demandeurs d’asile et migrants qui arrivent en France. Les polémiques ne manquent pas à son sujet : caméras de surveillance sans propriétaire apparent, gendarmes renvoyant les migrants par exemple.

La France est la deuxième destination en Europe pour les demandeurs d’asile. Elle en « accueillait » près de 180 000 en 2019. L’année suivante, elle a enregistré 80 000 nouveaux demandeurs d’asile. La plupart provenaient d’Afghanistan, du Bangladesh ou du Pakistan.  Les autorités ont délivré 220 000 titres de séjour en 2020, en nette baisse en raison de la pandémie de Covid-19. 32 000 d’entre eux l’ont été pour motif humanitaire. L’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) a accordé le statut de protection à 24 000 individus. Notons, par ailleurs, que 16 000 personnes en situation irrégulière ont quitté le territoire.

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Nouveau cadre d’accueil et d’hébergement pour 2021-2023

Cette année, de nouvelles mesures entrent en vigueur, avec deux objectifs : mieux héberger, mieux accompagner. Dans un premier temps, elles visent à désengorger l’Île-de-France, qui rassemble 46% des demandeurs d’asile mais dispose d’environ 20% des capacités d’hébergement. Une situation qui crée des déficits dans les autres régions. Dans un second temps, plusieurs améliorations sont sur la table :

  • Premièrement, réduire le délai de traitement des demandes. Cela signifie à la fois des simplifications administratives, mais aussi plus de moyens.
  • Deuxièmement, créer 4 500 places supplémentaires d’hébergement, dont 3 000 dans les centres d’accueil.
  • Enfin, faciliter l’accès aux droits dont disposent ces personnes dans le besoin.

Ces arrivées doivent accompagner la loi asile-immigration de 2018. Celle-ci contient un mécanisme d’orientation régionale des demandeurs. Le but, les orienter vers des espaces autres que la région parisienne.

Le comportement de Cédric Herrou cristallise toutes les tensions qui entourent la question migratoire en France. D’un côté, un agriculteur dont la solidarité manifeste envers des personnes dans le besoin lui a valu cinq ans de procédures judiciaires. De l’autre, des autorités publiques dépassées, parfois condamnées pour leur traitement envers les demandeurs d’asile. La nouvelle politique d’asile pour 2021-2023 tombe à pic. Espérons qu’elle mettra un terme aux images insupportables de tentes lacérées dans les camps de migrants et place de la République.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.