L’Europe sociale lancée au Sommet de Porto ?5 minutes de lecture
L’Europe peut-elle être qualifiée de sociale ? A priori non, car les compétences en ce domaine sont avant tout réservées aux États membres. Des règles minimales peuvent être mises en place à échelle européenne, mais leurs effets sont mitigés voire faibles. Et les divergences entre États demeurent …
L’Europe sociale : mythe ou réalité ? Retour aux sources
À la mise en place de la CECA (1951), l’objectif social était d’améliorer les conditions de vie des travailleurs. Mais pour les États membres, difficile d’accepter une harmonisation dans ce domaine. Le Fonds social européen a tout de même été créé, avec pour objectif de réduire les écarts de développement entre les régions composant l’UE.
Nouvelle tentative avec l’Acte Unique en 1986. La protection des travailleurs est une question désormais gérée à la majorité qualifiée, permettant d’aller outre l’opposition de certains États. Une Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs est adoptée en 1989.
Avec le Traité d’Amsterdam (1997), l’emploi dans l’UE devient une question d’intérêt communautaire. La même année, un sommet est organisé à Luxembourg sur le sujet.
Il faut attendre le Traité de Lisbonne (2007) pour que le « social » englobe d’autres paramètres que le travail et les travailleurs. On peut alors lire à l’article 3 du Traité sur l’UE que cette dernière « combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant« .
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Objectif atteint ?
Dans le Rapport général sur l’activité de l’Union en 2020, un chapitre est consacré à la dimension sociale. On y découvre que l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes s’élevait toujours à 14,1% en 2018, ou encore qu’en 2019, le chômage des jeunes dans les régions européennes variait entre 2,8% et 64%.
La crise économique et financière de la décennie dernière a fortement impacté la situation sociale dans l’Union, creusant les écarts de pauvreté et exacerbant les inégalités. La reprise était amorcée, mais c’était sans compter sur la crise sanitaire, économique et sociale engendrée par la Covid-19 à compter de mars 2020.
Les indicateurs sociaux ne sont pas au beau fixe. Le taux de chômage des jeunes va croissant, atteignant 17,1% des moins de 25 ans en mars 2021 (moyenne européenne). Quant au taux de chômage global, il est passé de 6,5% de la population européenne en février 2020 à 7,3% en mars 2021. Et côté pauvreté, pas d’embellie. Le seuil de pauvreté est fixé à 60% du niveau de vie médian. Si l’on tient compte de ce seuil, le taux de pauvreté était de 17% dans l’UE en 2017. En février 2021, sur les 450 millions d’habitants que compte l’UE, 92 millions sont pauvres, soit plus d’un habitant sur cinq.
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Anciennement président de la Commission, Jean-Claude Juncker voulait mettre en place « une Europe plus sociale » après la crise économique. Depuis 2020, Ursula Von Der Leyer mise sur le Pacte vert. Visant une transition écologique dans l’UE, il revêt une dimension sociale très modérée. Il faut lire entre les lignes du plan d’action pour trouver des pendants sociaux collatéraux, comme l’amélioration des normes environnementales ou le déploiement de transports publics plus abordables. Mais ces aspects semblent faibles en comparaison aux suppressions d’emploi impliquées par la transition écologique impulsée par la Commission, par exemple. En bref, le serpent se mord la queue.
Le Sommet social de Porto : succès pour la Commission, échec pour les syndicats et la gauche
Le Portugal, qui occupe la présidence du Conseil de l’Union européenne jusqu’à la fin du mois de juin, fait d’une Europe sociale une priorité. L’organisation d’un sommet dédié à ces questions à Porto devait proposer des mises en œuvre du Socle européen des droits sociaux. Les objectifs sont les suivants : atteindre un taux d’emploi de 78% ; sortir 15 millions de personnes de la menace de la pauvreté d’ici 2030 et « améliorer les compétences des adultes ».
L’épineuse question du salaire minimum européen a été abordée. Les pays du Sud (Portugal, France, Italie, Espagne) y sont favorables ; les Etats du Nord et de l’Est beaucoup moins, puisqu’ils tirent largement profit de ces inégalités salariales. Comme on pouvait s’y attendre, les responsables européens se sont félicités du Sommet, qui ont dans le même temps discuté de la levée des brevets sur les vaccins et de la reprise des négociations de l’accord de libre-échange avec l’Inde.
Mais dans le même temps se déroulait un contre-sommet. Des salariés, syndicalistes et responsables de la gauche s’étaient rassemblés pour dénoncer le chômage, la précarité et les privatisations. Des privatisations encouragées par Bruxelles et qui seront sans doute au menu des différents plans de relance nationaux. Les politiques d’austérité et les coupes dans les dépenses publiques accompagnent souvent les sorties de crise économique. Pour certains responsables politiques, l’Europe sociale ne naîtra pas tant qu’elle prônera le néolibéralisme économique. Difficile de leur donner tort sur ce point.
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