La mémoire délicate du massacre de Bleiburg4 minutes de lecture

Chaque année, à la mi-mai, la Croatie regarde vers la commune de Bleiburg, à la frontière entre l’Autriche et la Slovénie actuelle. En cause, les commémorations du massacre de Bleiburg, survenu en 1945 et aujourd’hui, symbole du rapport douloureux de la Croatie aux pages sombres de son histoire.

Cadrage historique : Oustachis, Tchetniks et Partisans

L’Allemagne nazie envahit et occupe la Croatie – intégrée à la Yougoslavie à cette époque – à partir de 1941. Comme en France, le nouveau gouvernement en place collabore avec l’ennemi. Il s’agit du régime Oustachi mené par Ante Pavelic, un mouvement fasciste qui mène une politique de répression systématique à l’encontre des Serbes et des résistants. Celui-ci proclame alors l’Etat indépendant de Croatie (EIC).

Dans le même temps, la résistance s’organise et se divise en deux grands corps. Le premier rassemble Tchetniks, fidèles du roi en exil Pierre II, à la tête de la Croatie avant l’invasion allemande, autour de Draja Michailovitch. A côté et bientôt en face, la résistance communiste, les Partisans, dirigée par Josip Broz, dit Tito. Cette dernière, mieux organisée – le parti communiste était interdit à cette époque et était habitué à travailler dans l’ombre – finit par prendre le meilleur sur la mouvance monarchiste de D. Michailovitch. Au point qu’à la fin de l’occupation allemande, entre 1943 et 1944, les Tchetniks combattent autant les Oustachis que les monarchistes.

A l’échelle européenne, les victimes civiles se comptent par millions. La Croatie n’y échappe pas. D’un côté, les Oustachis organisent des massacres d’orthodoxes et internent les populations juives et tziganes dans des camps. De l’autre, les Tchetniks s’en prennent aux Musulmans et aux Croates qui collabèrent avec le régime en place. Au moment de la libération du pays, bon nombre d’Oustachis, de Tchetniks et de civils cherchent à quitter l’EIC mais trouvent sur leur chemin les Britanniques, présents en Autriche, qui les renvoient vers les Partisans. A Bleiburg, motivés par l’envie de venger les crimes Oustachis, ils se livrent à un massacre dont le nombre de victimes, chiffré à plusieurs dizaines de milliers, n’est pas précisément établi.

Une vérité historique longtemps tue et une mémoire abimée

A l’issue du conflit, la Croatie, intégrée aux Républiques fédératives de Yougoslavie, passe sous régime communiste avec Tito à sa tête jusqu’en 1980. Pendant toute cette période, les traces du passé sont effacées. En Yougoslavie, pas un mot n’est dit sur le massacre de Bleiburg pendant plusieurs décennies. Des anciens proches des Oustachis ayant fui en Autriche s’approprient cet événement et organisent des pèlerinages sur place dès les années 1950. Le mémorial, très sobre, est propriété d’une association financée par des Croates.

A la mort de Tito, en 1980, les questions mémorielles ressurgissent en Croatie, indépendante une dizaine d’années plus tard. Le paysage politique change, le communisme s’efface, la droite revient. Les commémorations de Bleiburg deviennent alors un rituel auquel l’Etat et l’Eglise croates prennent toute leur part. Qualifier le massacre n’est pas chose aisée. Bon nombre de Croates y voient un crime de guerre, là où d’autres voient une vengeance à la suite des atrocités commises par le régime Oustachi.

2016 : la droite nationaliste prend les commandes, le révisionnisme aussi

En 2016, le parti nationaliste HDZ est à la tête du pays. Quatre ministres du gouvernement participent la même année aux commémorations de Bleiburg, qui rassemblent plusieurs dizaines de milliers d’individus. Parmi eux, Zlatko Hasanbegovic, ministre de la Culture, historien réputé pour ses thèses révisionnistes, qui se rend depuis 1991 à Bleiburg et ancien membre d’un parti proche des Oustachis.

Le HDZ n’a pas tardé à faire de la mémoire du massacre un enjeu politique de premier plan. Dès son arrivée, il a rétabli le soutien financier et le parrainage du Parlement croate, retiré en 2012. En 2018, la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic s’est également rendue à Bleiburg pour rendre hommage à « l’armée croate », signe que les événements et le déroulement du massacre sont encore flous.

La mémoire délicate de cet épisode dépasse les frontières. A Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine voisine, une manifestation s’est déroulée l’an dernier contre une messe dédiée en partie à la mémoire des Oustachis. En juillet 2020, le Parlement autrichien a voté une résolution pour interdire les rassemblements à Bleiburg. Il n’y a pas eu non plus de rassemblement en 2021, en lien avec la pandémie. Nouvel élément, s’il en fallait un de plus, qui montre que la réconciliation de la Croatie avec son passé est encore lointaine.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.