Les entretiens de Causons d’Europe #1 : la Pologne vue par Jacek Rewerski, historien d’origine polonaise8 minutes de lecture

Léo Humbert s’est entretenu avec Jacek Rewerski, un historien d’origine polonaise pour discuter de l’actualité polonaise. Au programme, manifestations pro-IVG, historiens en procès, dérives autoritaires du parti au pouvoir et de l’Eglise et place de la Pologne dans l’Union. Voici quelques extraits de l’entretien, disponible en podcast à la fin de cet article.

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Causons d’Europe : A la fin du mois d’octobre, les autorités polonaises ont annoncé mettre fin à la légalité des IVG réalisées en cas de malformations graves du fœtus. Les mesures ont été adoptées fin janvier. Pourquoi ce  retour en arrière ?

Jacek Rewerski : Quand vous avez une alliance entre le pouvoir et l’Eglise, l’un soutient l’autre et inversement. L’Eglise est arrivée au pouvoir, il n’y a pas d’autres mots. Le PiS, avec des idées très fermées, nationalistes, populistes et puis catho dans le sens conservateur d’un autre temps. Ce mélange a cherché à imposer sa vision du monde en divisant le pays en deux : ceux qui sont contre eux sont des mauvais Polonais. Un bon polonais doit être blanc, catholique, tous les autres ne le sont pas. Tout ceci a fait qu’ils veulent imposer de force leur vision du monde complètement arriérée.  

CE : La contestation s’est répandue jusque dans les petits villages polonais, cela fait longtemps qu’il n’y avait pas eu de réactions populaires de cette ampleur ?

JR : Effectivement, les dernières manifestations ont rassemblé près de 500 000 Polonaises et Polonais à Varsovie …

CE : Plutôt des jeunes, plutôt des vieux ?

JR : Avant tout des jeunes, ça c’est vraiment magnifique. Mais il y a par exemple une grand-mère connue dans les médias puisqu’elle se fait systématiquement arrêter par la police. Elle est avec des pancartes, « arrêtez tout cela parce qu’on aura plus de carton bientôt ». 500 000 personnes, on n’a pas vu pratiquement cela depuis Solidarnosc.

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CE  : Deuxième volet d’actualité, une historienne, Barbara Engelking et un historien, Jan Grabowski, ont été condamnés à présenter des excuses après leurs travaux sur la Shoah. Dans leur ouvrage, ils ont en effet avancé le rôle de certains polonais dans le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Or, la nièce d’un homme cité comme exemple dans ces travaux a porté plainte. Le tribunal lui a donc donné raison. C’est risqué de s’attaquer au roman national ?

JR : C’est une histoire complexe. Lorsque j’étais jeune, en Pologne, on n’entendait pas parler de l’antisémitisme. Avec l’arrivée de Solidarnosc au pouvoir, la recherche s’est ouverte. On a pu travailler sur la Seconde Guerre mondiale. En Pologne, il a eu des gens qui sauvaient des Juifs au péril de leurs vies. A côté de cela, il y a eu des délateurs. Mais une fois le PiS arrivé au pouvoir, ils ont voté une loi qui interdit toute salissure par rapport à la Pologne. 

« Vous devez voter PiS parce que si vous votez contre, c’est un péché »

CE : Difficile également de ne pas voir la mainmise du pouvoir politique sur cette décision de justice, ce qui nous permet d’aborder maintenant les réformes engagées par le parti droit et justice, au pouvoir depuis 2015. Deux points m’intéressent particulièrement. Le premier concernant l’indépendance des médias polonais. Depuis 2015, le pouvoir cherche à s’accaparer les médias afin de contrôler les informations diffusées. Faut-il y voir un début de dérive autoritaire ?

JR : Ce n’est pas le début, c’est la continuité. Au niveau de la presse, quand je regarde la télé polonaise -qu’on peut appeler la télé d’Etat- dans les discours, le journaliste prend position pro-PiS. Les grandes villes n’ont pas voté pour le PiS, les campagnes, si. Imaginez-vous dimanche, tout le monde va bien sûr à la messe dans ces campagnes. Le prêtre vous dit ouvertement « vous devez voter PiS parce que si vous votez contre, c’est un péché ». Et le résultat est là.

CE : On parlait de la mainmise du pouvoir sur les médias, mais c’est aussi le cas de la justice, qui est plus que menacée par le PiS. Même question, on est dans la continuité de la dérive autoritaire ?

JR : Totalement. En plus, ils ont nommé à la Cour Suprême de Justice leurs hommes. Le responsable du ministère est considéré comme un des plus durs, des plus fanatiques. Et à la limite, ce serait lui qui voudrait pratiquement prendre le pouvoir à la place de Kaczynski, qui est encore président du parti. 

« Je ne reconnais pas mon pays »

CE : La Pologne est entrée dans l’Union en 2004 aux côtés de neuf autres Etats d’Europe de l’Est ou insulaires. A cette époque, il y avait une vraie envie d’Europe, de tourner la page de l’époque communiste ?

JR : Bien sûr, et il y en a toujours. En Pologne, malheureusement, toute la propagande et l’Eglise se focalisent sur l’Europe de l’Ouest. La France est présentée comme une ennemie de la Pologne, parce qu’elle est laïque, elle accueille les Musulmans. C’est n’importe quoi, je ne reconnais pas mon pays.

CE : Comment est perçue la Russie aujourd’hui par la société polonaise ? On sait qu’elle est très attachée à son appartenance à l’OTAN et dernièrement, elle a expulsé un diplomate russe dans le contexte des tensions entre l’Union et la Russie. La Russie est-elle crainte ?

JR : Entre la Pologne et la Russie, il y a un conflit ancien qui remonte au Moyen-Age lorsque la Russie est passée sous l’orthodoxie byzantine et la Pologne au catholicisme romain. Les Russes ont alors considéré les Polonais comme des traitres. Fin XVIIIème, quand il y a eu le partage de la Pologne, la Russie a pris la moitié Est et a voulu la russifier. Il y a un deuxième problème : 1917, la révolution russe et la guerre qui se termine ensuite en 1918. Lénine attaque la Pologne pour propager la révolution. Il avait dit que l’incendie de la révolution mondiale passera par le cadavre de la Pologne. Ça n’a pas été pardonné par Staline et il y a eu Katyn [NDLR : En 1940, les Soviétiques ont massacré plusieurs milliers de Polonais à Katyn, parmi lesquels des officiers, mais aussi des médecins ou des étudiants]. C’est donc un conflit ancien et complexe.

CE : En tout cas la Pologne a trouvé sa place dans l’Union. Vous pensez que cette fierté d’appartenance s’est affermie ?

JR : Il y a toujours eu une coupure. Quand la Pologne est entrée dans l’Union, une partie a eu peur de la concurrence européenne. Tout comme l’Europe a eu peur de la main-d’œuvre polonaise pas chère. Par la suite, avec les aides européennes, la Pologne a changé. Et ça, certains nationalistes, populistes l’oublient. Néanmoins, les jeunes et les intellectuels sont pro-européens. C’est seulement cette Pologne profonde, qui subit un lavage de cerveau avec les médias, notamment une radio qui est écoutée partout, Radio Maria. A Toruń, les habitants s’excusent pour cela, car c’est une radio catholique, antisémite, une horreur, il n’y a pas d’autres mots.

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CE : Il existe également des points noirs au sujet de l’appartenance de la Pologne dans l’Union, notamment le respect de l’Etat de droit. A la suite des réformes judiciaires que nous évoquions, l’Union a enclenché l’article 7 du traité UE, pour existence d’un risque de violation de l’Etat de droit. Quel est votre point de vue sur ce mécanisme ? L’Europe doit être plus ferme ? La Pologne doit-elle changer en profondeur ?

JR : Les Polonais doivent virer le PiS et il faut que l’Eglise se modernise. Je pense que si l’Europe était plus ferme, cela pourrait changer. Le PiS n’ose pas, s’il pouvait quitter l’Europe pour former une République catholique polonaise, il serait heureux. Mais il sait que l’argent l’y maintient.

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CE : Si on se projette, il y aurait deux réformes à faire : virer le PiS et recréer une entente entre la société civile et l’Eglise catholique ?

JR : Ce n’est pas l’Eglise que j’ai connu, une Eglise qui luttait, qui était auprès des malheureux, sa place. Tandis que là, on voit certains prêtres avec des Mercedes. Encore une fois, je ne reconnais pas le pays, je ne reconnais pas l’Eglise polonaise actuellement.

Podcast de l’entretien (23 minutes) :

 

Les travaux de vulgarisation de la Pologne de Jacek Rewerski sont à retrouver sur YouTube.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.