Point de vue : Hongrie, le fric de l’Union un point c’est tout5 minutes de lecture
Cette affaire procure le sentiment de fouler des sentiers battus. Il y a quelques jours, le gouvernement hongrois présentait un projet de loi pour le moins polémique. Le texte « interdit les programmes éducatifs, les produits et la publicité sur le thème LGBTQI pour les moins de 18 ans ». L’affaire a été traitée dans tous les sens, son irruption lors de l’Euro de football – où une partie des supporters hongrois s’illustrait dans des actions franchement dégueulasses – lui procurant une exposition médiatique conséquente.
Pour autant, il y a un air de déjà-vu derrière cette nouvelle offensive du très agité Viktor Orban. Bien sûr, les entorses à l’État de droit sont multiples dans l’Union, comme le rappelle un rapport sénatorial de mars 2021 à ce sujet. Mais dans les cas polonais et hongrois, il s’agit davantage de fracture que d’entorse : traitement des réfugiés, liberté de la presse, liberté académique, droits des LGBT+, tout y passe. Ainsi, ce dernier texte de loi n’est qu’une nouvelle pierre à l’édifice ultra-conservateur et intolérant qu’assemble Orban depuis son arrivée à la tête du pays.
Un système de sanctions inefficace
Mais comment pareil édifice a-t-il pu s’agrandir de la sorte ? La Hongrie est pourtant membre de l’Union depuis 2004. A ce titre, elle a signé les traités européens, la charte des droits fondamentaux et a par ailleurs intégré le Conseil de l’Europe dès les années 1990. Autant de documents faisant de l’Europe et de l’Union une « communauté de valeurs », parmi lesquelles, évidemment, le respect de l’État de droit.
Pour se garder de toute dérive – la suite va vous surprendre –, le traité sur l’Union européenne prévoit, en son article 7, une procédure de privation des droits d’un État membre qui ne respecterait pas l’État de droit, jusqu’à son droit de vote lors des négociations. Le principe est simple, une fois débarrassé du jargon d’usage. Cette disposition, souvent qualifiée de bombe nucléaire, semble toutefois avoir été montée à l’envers.
Dans le cadre des négociations du plan de relance et du budget européens, les réflexions furent intenses pour redresser la barre. A l’arrivée, l’accès à ces fonds fut conditionné au respect de l’État de droit. Union 1 – Pologne et Hongrie 0 ? Pas vraiment. La procédure est extrêmement longue, il faudra prévoir plusieurs années pour qu’elle aboutisse. Et c’est déjà le cas aujourd’hui. Les rapports, résolutions, recommandations demandant de passer à la vitesse supérieure se sont multipliés. Pourtant, la conclusion est nette et implacable. « Dans ces deux cas [Pologne et Hongrie, visés par l’article 7 depuis plusieurs années], le Conseil n’a pas encore statué. Autrement dit, il n’a même pas constaté l’existence […] d’un risque clair de violation grave de l’État de droit », toujours selon le même rapport sénatorial. Rendons-nous compte du triste spectacle qui s’offre devant nous.
Orban intouchable
Alors pourquoi Orban serait-il inquiété par des déclarations des chefs d’États ou des institutions européennes ? Il n’y a pas de procédure d’exclusion prévue par les traités. Le pognon de l’Europe, il le touchera. Et quand bien même une violation serait avérée et qu’il faille écarter et sanctionner la Hongrie, sommes-nous bien assurés qu’elle le sera ? D’abord, il faut l’unanimité des 26 autres États réunis en Conseil européen. Puis, le Conseil de l’UE doit réunir au moins 55 % des États membres, représentant 65 % de la population de l’Union pour appliquer les sanctions prévues par l’article 7. La Pologne et la Hongrie l’ont annoncé, elles resteront solidaires et appliqueront leur droit de veto. La Slovénie leur a plusieurs fois témoigné son soutien. Dernier indicateur, seulement 14 pays membres ont signé une déclaration commune manifestant leurs inquiétudes concernant le dernier texte de loi pondu – restons courtois – par les autorités hongroises.
Malheureusement, Orban peut poursuivre dans cette voie. D’un côté, il capte des fonds européens qui lui sont essentiels, en dépit de ses multiples violations du droit de l’Union. De l’autre, il satisfait les franges les plus droitières de l’électorat hongrois – son parti, le Fidesz, voire le Jobbick, d’extrême-droite – et ainsi assurer une future réélection… lors du scrutin législatif de 2022, après le triomphe de 2018.
Deux questions fondamentales se posent alors. La première concerne l’essence même de l’Union. L’Union n’est-elle pas d’abord et avant tout qu’un espace économique géant ? La seconde, tout aussi impérative, nous ramène en 2004. L’Union de l’époque aurait-elle dû être plus prudente, en procédant à un élargissement de dix pays en même temps ? N’a-t-elle pas agi avec précipitation, privilégiant ses intérêts économiques et géopolitiques, en voulant absolument faire main basse sur les anciennes républiques soviétiques pour affaiblir une Russie déjà amorphe ? Et ce, en dépit de garanties insuffisantes sur l’État de droit ?
Le respect de l’État de droit reviendra nécessairement sur la table, alors que les négociations d’adhésion des pays balkaniques sont sur les rails. Là encore, les derniers rapports montrent qu’il y a encore du chemin à faire dans ce domaine. On ne joue pas avec les droits fondamentaux, même pour un quelconque avantage économique. Alors, gare à un nouveau déraillement.
Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.