Biélorussie, trente ans d’indépendance et de dictature6 minutes de lecture

Voilà maintenant plusieurs mois que la Biélorussie vit au rythme des manifestations dominicales et des arrestations d’opposants. En cause, la constitution d’un mouvement d’opposition à la réélection d’Alexandre Loukachenko à la tête du pays en août 2020. Passée sous les radars médiatiques, la situation est revenue sur le devant de la scène avec le détournement d’un avion européen pour arrêter un opposant politique et sa compagne.

La Biélorussie, dernière dictature d’Europe

L’Europe est majoritairement constituée de régimes démocratiques libéraux. Certes, quelques régimes autoritaires existent toujours. Mais la Biélorussie et ses quelques 9 millions d’habitants figure comme la dernière dictature d’Europe. Plusieurs éléments d’explication l’attestent.

D’abord, sur le plan politique. La Biélorussie était intégrée à l’URSS entre 1922 et 1991. Indépendante à cette date, elle demeure le régime le plus fidèle à Moscou. Les relations entre les deux pays sont intimement liées sur tous les plans. Depuis 1994, Alexandre Loukachenko dirige d’une main de fer l’Etat biélorusse. L’opposition politique, réprimée, ne peut aligner des candidats lors des élections. Des scrutins par ailleurs plus proches des plébiscites, tant les victoires d’A. Loukachenko sont nettes.

Théoriquement, A. Loukachenko aurait dû rendre le pouvoir après deux mandats, comme la Constitution l’exige. Mais en 2004, il organise un référendum pour lever cette limitation : c’est un oui, à 77 %. L’opposition parlait à l’époque de « farce électorale. » Et pour cause ! Les candidats sont pour la plupart dépourvus d’expérience politique et les commissions électorales représentent le pouvoir en place. En 2015, celui que l’on surnomme « Batka  », le père, entame un cinquième mandat consécutif. Son opposante, Tatiana Korotkevitch, récolte moins de 5 % des voix. Sa plainte pour élections truquées, composée de preuves de fraudes et d’irrégularités, est restée lettre morte. Elle dénonçait en outre un manque de visibilité dans les médias.

Venons-en aux médias, justement. En plein Dictature Tour, Benoît Chaumont fait escale en Biélorussie. Reçu au service public de télévision – entièrement contrôle par le pouvoir -, il interroge la présentatrice du journal télévisé sur sa ligne éditoriale. « Critiquer [Loukachenko] ? Il a toujours raison ». Ambiance. Reporters sans Frontières détaille davantage la situation des journalistes en Biélorussie : arrestations, violences, blocages et censures.

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Des contestations toujours réprimées, un pouvoir indéboulonnable

Les derniers scrutins électoraux sont toujours accompagnés de contestations populaires. Cela a en effet été le cas en 2004, en 2011 et en 2015. Et le schéma se répète. En Biélorussie, les élections sont un sport qui se dispute à un seul candidat. Et à la fin, c’est toujours Loukachenko qui l’emporte. L’opposition ne joue même pas. En fait, elle ne peut pas jouer, car elle est arrêtée, où elle disparaît. Mais de ce scénario, les Biélorusses n’en veulent plus.

Car tout a basculé le 9 août dernier, au moment de la nouvelle réélection – surprise ? – de Loukachenko à la présidence. La candidate d’en face, Svetlana Thikanovskaïa, représentait son mari, Sergueï, emprisonné. Son mécontentement ont fait se lever une partie du peuple biélorusse derrière un drapeau, des manifestations chaque jour puis chaque dimanche. La contestation s’inscrit dans la durée, grandit, des grèves sont organisées, le pouvoir semble vaciller.

Mais tout le problème est là, le pouvoir vacille, mais il ne bouge pas. Dix mois après le début de la contestation, Loukachenko est toujours en place et s’est déchaîné contre l’opposition. Le régime traque ses opposants, les arrête, les torture, les fait disparaître.  S. Thikanovskaïa s’est exilée en Lituanie voisine. Après plusieurs semaines de silence dans la presse, la Biélorussie fait la Une des titres européens et internationaux le 23 mai dernier. Lors d’un vol entre Athènes et Vilnius, un avion de la compagnie aérienne RyanAir reçoit un message provenant de Biélorussie. L’avion transporterait une bombe et nécessiterait un contrôle à l’aéroport de Minsk, la capitale du pays. L’avion s’exécute et une fois sur le tarmac, deux passagers quittent l’avion pour ne jamais y remonter. Il s’agit de Roman Protassevitch et sa compagne. L’avion redécolle mais l’affaire soulève un tollé. Une fois de plus, les pays occidentaux réagissent.

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Des décennies de sanctions internationales pour un maigre résultat

Ce n’est effectivement pas la première fois que les pays occidentaux pestent contre le régime biélorusse et le sanctionnent.

En 2011, suite aux arrestations post-électorales, l’Union européenne et les Etats-Unis prononcent des sanctions. Elles visent le principal intéressé, deux de ses fils et des hommes du régime. C’était déjà le cas en 2004 et 2006, sous la forme d’interdictions de visas. Des sanctions bien légères pour une Union qui se retrouve, comme avec la Russie, dans une position d’entre-deux. D’un côté, elle sanctionne. De l’autre, elle cherche à garder des ponts ouverts.

Puis, en 2015, l’Union revient sur sa décision et lèvent les sanctions qui frappaient Loukachenko. Il s’agissait d’une forme de récompense, puisqu’il avait libéré les derniers prisonniers politiques. Avec le recul, on peut y voir une forme de naïveté. La même rengaine reprend dans le sillage des manifestations de 2020. Les condamnations pleuvent de toute part en Europe : Conseil et Parlement européens, patron de la diplomatie, Conseil de l’Europe dernièrement. Emmanuel Macron rencontre même S. Thikanovskaïa en Lituanie. La présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, annonce la suspension d’un programme de 3 milliards d’euros destiné à la Biélorussie tant qu’elle ne se démocratise pas. Les avions des compagnies européennes contournent l’espace aérien biélorusse.

Pourtant, le régime ne plie pas et Loukachenko n’est pas inquiété. Il a d’ailleurs rendu visite à Vladimir Poutine, en Russie, il y a quelques jours. La situation en Biélorussie rappelle d’ailleurs celle d’Alexeï Navalny. Arrêté à Moscou après son retour d’Allemagne où il avait été soigné suite à son empoisonnement, il est aujourd’hui emprisonné. Le vocabulaire était le même côté européen : condamnation, demande de libération, sanctions. L’Europe géopolitique qui s’impose dans les grands dossiers internationaux, volonté de la Commission européenne, semble bien loin, voire illusoire.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.