L’Espagne, pays précurseur dans la lutte contre les violences conjugales4 minutes de lecture
Une « semaine noire » en Espagne : 5 femmes ont été tuées en sept jours. Le gouvernement a fermement condamné ces crimes à l’instar du Premier ministre Pedro Sánchez le lundi 24 mai 2021 : « L’Espagne est en proie à un fléau machiste qui fait que des hommes tuent des femmes parce qu’elles sont des femmes ».
L’Espagne est pourtant un des pays européens les plus proactifs en matière de lutte contre les violences conjugales. Elle a d’ailleurs ratifié les principales conventions en faveur d’une égalité et de la lutte contre les violences masculines. Parmi elles, la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, CEDEF, en 1983, ainsi que la Convention d’Istanbul en 2014.
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Une prise de conscience brutale mais précoce
En 1997, le signal d’alarme est tiré. L’opinion publique espagnole découvre le témoignage d’Ana Orantes. À la télévision, elle raconte ses quarante années de violences infligées par son mari qui continuent malgré quinze dénonciations aux autorités. Deux semaines après sa médiatisation, son mari la tue en la brûlant vive. L’Espagne débute donc un décompte de ses féminicides dès 2003. À ce jour, 1 092 féminicides par conjoint ou ex-conjoint ont été relevés, dont 14 depuis janvier 2021.
Le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero vote en 2004 la loi dite de « mesures de protection intégrale contre la violence conjugale », aujourd’hui considérée comme l’une des lois les plus protectrices du monde. Elle s’articule autour de la prévention, de la protection des victimes et de la condamnation des agresseurs, notamment grâce à la mise en place d’importants moyens financiers. En effet, l’Espagne a consacré 748 millions d’euros à la lutte contre les violences conjugales en 2020. À titre de comparaison, la France a débloqué 360 millions d’euros, soit moitié moins, après la tenue du Grenelle contre les violences faites aux femmes en septembre 2019.
Un pays modèle
Le Centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources pour l’égalité femme-homme, a publié une étude comparative des politiques publiques menées dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales entre l’Espagne et la France. Le rapport décrit les différents dispositifs espagnols.
Depuis juillet 2007, la plateforme en ligne VioGén permet de suivre et d’évaluer le risque encouru par les victimes. Dès qu’une femme rapporte des violences dans un commissariat, elle est invitée à déposer une plainte. Un fichier est créé sur la plateforme, étoffé de divers détails comme le type de violences subies, les antécédents de l’agresseur, les conditions économiques… Cette collecte d’informations permet par la suite d’évaluer le danger encouru. Il peut être réévalué toutes les 72 heures en cas de risque majeur. Pour garantir un service efficace, ces fiches ressources sont accessibles aux forces de l’ordre, aux institutions judiciaires et instituts médicaux mais aussi au bureaux d’aides aux victimes et services sociaux.
Autre méthode, les bracelets électroniques, utilisés depuis 2009 en Espagne. Si un conjoint violent s’approche à moins de 500m de sa partenaire, les forces de l’ordre interviennent en moins de 10 minutes. Côté justice, les juges spécialisés dans les affaires de violences conjugales ont 72 heures pour instruire un dossier. 106 cours spéciales sont même réservées à ces affaires.
Ce qui ressort de ce rapport, c’est l’existence précoce de ces moyens d’actions, expliqués par la loi datant de 2004. L’existence de statistiques institutionnelles précieuses et facilement accessibles à toutes et à tous en Espagne renforce ce système en lui permettant de se réévaluer fréquemment.
Rien n’est acquis
En octobre dernier, le gouvernement a versé 180 000 euros à la famille d’une femme tuée par son mari. Cette dernière avait demandé une protection policière un mois avant que le mari ne la poignarde à mort dans la rue, devant leurs deux enfants. Le tribunal de l’Audience nationale qui s’occupe des plaintes contre le gouvernement a jugé que la protection de la victime était « inadéquate ». Les parents et enfants ont reçu une indemnité financière en raison de ce « préjudice moral ».
L’extrême-droite espagnole remet la loi de 2004 en question et estime que l’État ne devrait plus financer la lutte contre les violences faites aux femmes. Selon le parti Vox, (24 sièges au Parlement national), la loi bénéficierait aux femmes aux détriment des hommes. Alicia Rubio, sa vice-présidente dénonce une « idéologie de gauche qui criminalise l’homme et judiciarise les relations humaines ». Une autre membre, Rocío Monasterio, affirmait qu’il y avait autant de femmes que d’hommes battus, sans pouvoir donner de sources. La raison ? Elle répond que « [c]es chiffres nous sont cachés, car ils vont à l’encontre du politiquement correct ». Ce discours du parti d’extrême-droite entre en dissonance avec le reste de la classe politique espagnole. Cette dernière reste motivée à perfectionner son arsenal judiciaire et système d’aide au vu de ses bons résultats, les violences conjugales n’étant pas encore éradiquées.
Diplômée d’une licence d’Anglais et d’un master de Journalisme axé sur l’audiovisuel et le documentaire, Clémence retourne à ses premiers amours via Causons d’Europe : les lettres et les langues ! Si ses articles touchent à tous les domaines, elle reste persuadée que la vulgarisation des luttes féministes et queer permettra de sortir des débats stériles.
Au-delà de ça, elle traverse une crise existentielle, car elle ne peut plus aisément prendre le thé avec les britanniques depuis leur départ de l’UE, mais elle tient le coup … Et elle est toujours à la recherche de piges.