Arrestations de membres des Brigades rouges : un pas vers l’apaisement entre la France et l’Italie5 minutes de lecture

Sept anciens membres des Brigades rouges ont été interpellés en France le mercredi 28 avril dernier. Ce groupe terroriste d’extrême-gauche a marqué les années 1970 en Italie, entre attentats et assassinats ciblés. Retour sur l’histoire de ce groupe.

Contexte et naissance

Les luttes sociales de la fin des années 1960 en Italie ont mené à de fortes tensions entre l’extrême-droite et l’extrême gauche. Les historiens surnomment cette période Les Années de Plomb, qui s’étend jusqu’aux années 1980.

Le contexte de guerre froide se fait ressentir en Italie où les héritiers du fascisme s’allient à Washington dans une surveillance de la montée en popularité du Parti communiste dans le pays et la crainte d’un basculement vers le socialisme. Ces liens se manifestent jusque dans les services de sécurité, fermant les yeux sur l’existence des groupes néofascistes d’extrême-droite alors que des lois demandant leur dissolution ont été passées par le parti au pouvoir, Démocratie Chrétienne.

Ces groupes armés orchestrent l’attentat de la Piazza Fontana à Milan en 1969. La bombe fait 16 morts et 88 blessées. L’attaque sera attribuée à tort à l’extrême-gauche. Résultat, descente de police dans les milieux anarchistes italiens. L’extrême-droite réussit à légitimer une politique sécuritaire à l’encontre de ses opposants.

Un tournant s’opère alors dans les milieux d’extrême-gauche : le passage à la lutte armée. Les militants sont de plus en plus nombreux à se radicaliser pour ensuite former des groupes terroristes, parmi lesquels, les Brigades rouges.

Les Brigades rouges sont fondées par Renato Curcio, Alberto Franceschini et Mara Cagol en novembre 1970. Elles sont composées à la fois d’étudiants et d’ouvriers répartis sur tout le pays dans des « colonnes » – des antennes. Chaque « colonne » est autonome et organise ses propres opérations même si un Comité exécutif élu donne la direction stratégique.

Afin d’attirer l’attention médiatique, les groupes organisent des enlèvements. Celui d’Idalgo Macchiarini, un dirigeant de Siemens en 1972 puis celui du responsable de Fiat, Ettore Amerio, l’année suivante. Comme le résume Gilles Ferragu dans son ouvrage Histoire du terrorisme : « Les BR visent l’appareil de l’État, les médias et le monde industriel ».

Affaire Moro, le début de la fin

L’enlèvement puis assassinat le plus marquant est celui d’Aldo Moro, ancien président du Conseil et président de la Démocratie chrétienne. Enlevé le 16 mars 1978, il est détenu 55 jours puis retrouvé mort dans le coffre d’une voiture le 9 mai suivant. L’opinion publique italienne et l’extrême gauche elle-même sont bouleversées par le lourd feuilleton médiatique engendré par l’affaire. Il ne sera pourtant pas la dernière victime des BR. En novembre 1978, le juge Tartaglione est assassiné et le magistrat Giovanni d’Urso est séquestré près d’un mois de décembre 1980 à janvier 1981.

Traquées et en proie à des dissonances en leur sein, les Brigades s’affaiblissent en se séparant en nouveaux groupes. Plutôt que d’entrer dans une répression pure et dure, la justice italienne décide de mettre en place des aménagements de peine qui créent le statut de repenti, collaborant avec la Justice et celui de dissocié, qui abandonne totalement la lutte armée. Certains membres se réfugient en France suite au discours prononcé par François Mitterrand en 1985 : « ne [seront] pas extradés ceux pour lesquels l’évidence de la participation directe à des crimes de sang n’[est] pas établie ». Cette déclaration devient un usage non-écrit, la doctrine Mitterrand. Le président socialiste, attaché à présenter la France comme le pays des Droits de l’Homme, propose l’asile à ces anciens activistes en échange d’une sortie de la clandestinité et du renoncement à toute forme de lutte armée, aussi bien en France qu’en Italie.

La fin de la doctrine Mitterrand ? 

On s’accorde à dire que la doctrine a tenu jusqu’en 2002 lorsque Jacques Chirac autorise l’extradition de Paolo Persichetti. En 2004, Cesare Battisti réfugié en France depuis une quinzaine d’années est condamné pour quatre assassinats. À l’approche de son extradition, il fuit et n’est arrêté en Bolivie qu’en 2019.

Au fil des années, Rome a réduit la liste de personnes qu’elles souhaite voir extradées. Puis, début avril 2021, la ministre de la Justice italienne Maria Cartabia transmet une « requête urgente » à Éric Dupond-Moretti sur le risque de prescription pour les crimes des Brigades rouges. 7 anciens membres ont ensuite été interpellés sur le territoire français le 28 avril 2021. Emmanuel Macron affirme être resté fidèle à la doctrine Mitterrand. Les personnes extradées ont été reconnues coupables de crime de sang. La justice doit encore se prononcer sur leur extradition au cas par cas. Pour l’historien Marc Lazare, cette décision s’inscrit dans la politique de sécurité intérieure et la perspective des futures élections du Président.

Les réactions ne se sont pas faites attendre. Lors d’une conférence de presse, Éric Dupond-Moretti s’est déclaré : « fier de participer à cette décision qui, je l’espère, permettra à l’Italie, après quarante ans, de tourner une page de son histoire qui est maculée de sang et de larmes ». De l’autre côté des Alpes, le Figaro rapporte que la presse italienne a majoritairement salué la décision du président français. « Années de plomb, la blessure guérie » peut on lire dans La Stampa et « Année de plomb, dernier acte » dans le dossier de six pages dédié à l’affaire dans La Repubblica.

Pour d’autres, ces arrestations sont en totale rupture avec la doctrine. Irène Terrel, avocate de 5 arrêtés, évoque une trahison. Jean-Luc Mélenchon a quant à lui réagit sur Twitter estimant qu’avec Emmanuel Macron « La France n’avait plus de parole ».

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Diplômée d’une licence d’Anglais et d’un master de Journalisme axé sur l’audiovisuel et le documentaire, Clémence retourne à ses premiers amours via Causons d’Europe : les lettres et les langues ! Si ses articles touchent à tous les domaines, elle reste persuadée que la vulgarisation des luttes féministes et queer permettra de sortir des débats stériles.
Au-delà de ça, elle traverse une crise existentielle, car elle ne peut plus aisément prendre le thé avec les britanniques depuis leur départ de l’UE, mais elle tient le coup … Et elle est toujours à la recherche de piges.