L’Estonie, entre ancrage européen récent et influence russe ancienne4 minutes de lecture

Voici plusieurs jours à présent que l’Estonie s’est déclarée prête à accueillir Alexei Navalny. Le principal opposant au président russe, Vladimir Poutine, est en ce moment emprisonné. Il avait entamé une grève de la faim avant de s’arrêter. Les autorités estoniennes ont toutefois déclaré souhaiter accorder l’asile politique à A. Navalny, s’il était banni du pays ou le quitterait. Mais l’Estonie, aujourd’hui ancrée dans l’Union, fut longtemps liée à la Russie.

Dans le rétroviseur, plusieurs siècles d’histoire commune

Tout commence au XVIIIème siècle, lorsque l’Estonie que nous connaissons aujourd’hui passe de la domination suédoise à la domination russe. La langue officielle devient le russe et le code russe y est introduit en 1835. Néanmoins, l’influence allemande y reste forte, en particulier concernant la religion. Les Russes tentent donc d’y imposer la foi orthodoxe, en laquelle ils croient. Allemagne et Russie se disputent à nouveau l’Estonie dans le cadre de la Première Guerre mondiale. Occupée par l’Allemagne, l’Estonie finit par proclamer son indépendance en 1918. Ce sera effectivement le cas en 1920.

L’un des contentieux actuels entre l’Estonie et la Russie nait à ce moment là. Le traité de Tartu – nom de la ville estonienne où il a été signé – fixe une frontière encore contestée aujourd’hui entre les deux Etats, le long du fleuve Narva qui les sépare. Côté estonien, on estime que des territoires situés rive russe leur appartiennent. Côté russe, pas question de revenir sur ces territoires que l’URSS, à l’époque, avait acquis à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Car pendant ce deuxième conflit mondial, en 1940, l’URSS envahit l’Estonie, qui devient de fait une République socialiste dépendante du pouvoir de Moscou. Elle n’est soviétique qu’un an puisque l’année suivante, l’Allemagne nazie s’en empare puis occupe le territoire. Cependant, en 1944, les offensives de l’armée rouge permettent à Moscou de reprendre le contrôle de l’Estonie. Il a fallu attendre 1991 et l’éclatement de l’URSS pour que l’Estonie ne retrouve son indépendance.

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C’est à partir de là que l’ancrage estonien à l’Europe se manifeste. Elle intègre rapidement l’OTAN, puis l’Union européenne en 2004, aux côtés des républiques baltes voisines, la Lettonie et la Lituanie. Pour autant, les liens avec la Russie demeurent toujours forts, tant à travers la population estonienne que les intentions politiques du Kremlin. Même si les visites d’Etat sont rares –  Vladimir Poutine s’y est rendu en 2019, une première depuis 2011.

Minorité russophone et influence de Moscou : Qu’en est-il aujourd’hui ?

La Russie n’a absolument pas disparue du paysage estonien. La ville frontalière de Narva en est la manifestation la plus concrète. La très grande majorité des habitants est russophone et les taux de participation aux élections européennes y sont faibles.

La forteresse d’Ivangorod, de l’autre côté de la Navra, à la frontière avec l’Estonie

A l’échelle nationale, la transition européenne est plus visible. L’adhésion du pays à l’Union n’a d’ailleurs pas fait de débat. La ville de Tartu est d’ailleurs parmi les trois capitales européennes de la culture en 2024. Mais l’intégration et l’identification à l’Europe n’est pas acquise pour autant. Sinon, on voit mal pourquoi l’Union y financerait une fondation chargée justement de l’intégration.

Ceci dit, les relations entretenues avec Moscou sont tendues. 25 000 Estoniens se sont groupés dans la Ligue de défense de l’Estonie, un groupe militaire constitué de volontaires, mobilisable à tout moment, là où l’armée nationale ne compte que 6 400 hommes. En complément, les troupes de l’OTAN sont largement présentes dans le pays. Pendant longtemps, la plupart du gaz consommé en Estonie provenait de Russie, d’ailleurs principal exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Union européenne. Cette énergie était utilisée comme un levier diplomatique à part entière par Moscou.

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Il arrive de temps à autres que la tension monte. En 2007, le simple déplacement d’un monument glorifiant l’armée rouge provoque des manifestations pro-russes. La même année, l’Estonie subit plusieurs cyber-attaques dirigées contre les autorités et les banques. Enfin, les médias Russia Today et Sputnik, toujours prêts à alimenter la critique de tous les gouvernements sauf celui de Vladimir Poutine, sont très actifs en Estonie.

Pour autant, la coopération entre les deux Etats est essentielle. La présidente estonienne, Kersti Kaljulaid, déclarait dans les colonnes du Monde la prise de décision à deux concernant l’environnement et les transports notamment. Mais elle ne cache pas ses déceptions : « Il nous faut aussi aider la société civile russe, afin d’expliquer ce qu’est une démocratie ». Une façon de montrer que di les relations sont compliquées entre les autorités, elles le sont moins entre les peuples.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.