Quid de la fin de vie en Europe ?6 minutes de lecture

Fin de vie, euthanasie, suicide assisté … L’emploi de l’un ou l’autre de ces termes en dit long sur la prise de position d’un État, et concernant l’UE, encore faudrait-il que prise de position il y ait.

Une fois n’est pas coutume, le BeNeLux se démarque : Belgique (2002), Pays-Bas (2001) et Luxembourg (2009) ont tous trois dépénalisé le suicide assisté pour les personnes majeures, en cas de maladie incurable ou de souffrance extrême en phase terminale. En Belgique, un mineur peut demander à être euthanasié si ses souffrances physiques sont insupportables, ses souffrances morales n’entrant pas en compte. Le Portugal a rejoint « le trio de la fin de vie » en janvier 2021 : le Parlement a approuvé une loi permettant « la mort médicalement assistée », pour les citoyens majeurs. Pour être finalement balayée par le Président qui y a mis son veto. Quant à l’Espagne, elle devrait devenir au printemps 2021 le 5ème pays d’Europe à l’autoriser .

La majorité des États membres de l’UE sanctionne l’euthanasie active ou directe, permettant à un individu de mourir en vue de soulager ses souffrances, mais a dépénalisé ou tacitement autorisé des arrêts de traitements pouvant être fatal. Dans les pays scandinaves, baltes et en Allemagne, le consentement réitéré du patient est nécessaire pour l’arrêt des soins. Cinq pays pénalisent rigoureusement l’euthanasie, passive ou active : la Croatie, la Grèce, la Roumanie, la Pologne, l’Irlande, tous étant traditionnellement conservateurs.

En Italie, la situation évolue. En 2019, la Cour constitutionnelle a décrété la possible licité du suicide assisté si des conditions cumulatives sont réunies (consentement éclairé du patient, sédation profonde, avis d’un comité éthique local…). Une loi y interdisant l’euthanasie, il s’agit d’un reversement majeur, notamment dû à l’opinion exprimée par plus de 800 italiens via le portail « SOS euthanasie », lesquels ont affirmé être prêts à recourir au suicide assisté si besoin. 

En France, le code pénal distingue l’euthanasie active, interdite, et celle dite passive, qui consiste en une interdiction de l’acharnement thérapeutique et est autorisée depuis 2005. Puis en 2016, la sédation profonde et continue a été autorisée.

En Allemagne, l’enjeu est différent : y parler d’euthanasie réveille de trop douloureux et proches souvenirs, l’extermination de masse pratiquée au XXème siècle par les nazis, de même que leurs expériences sur les handicapés, physiques ou mentaux. Dès lors, pas question de parler d’euthanasie ; on préfèrera l’expression « aide à la mort » … 

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Une question éthique ?

Si seulement ! Aborder le thème de la fin de vie implique de naviguer en eaux, si ce n’est troubles, éthiques mais aussi religieuses, politiques, morales, juridiques… De quoi décourager beaucoup d’États à s’aventurer dans le débat. 

A l’image de beaucoup d’autres domaines, un affrontement public/privé règne. D’aucuns estiment que la fin de vie est un droit, intrinsèque à la dignité humaine, et relevant du libre arbitre de chacun. D’autres, au contraire, que l’État se doit de réguler cette pratique, afin qu’elle ne devienne pas monnaie courante et soit réservée à des cas « désespérés ». D’autres encore que le droit à la vie prime sur tout le reste, et que toute manœuvre visant à mettre fin à la vie est amorale. 

En Italie, le cas d’Eluana Englaro, et en France, celui de Vincent Lambert, ont montré à quel point des forces opposées s’affrontent à l’heure de parler de fin de vie. La première est restée dans le coma dix-sept ans, à la suite d’un accident de voiture : à partir de 1999, son père a bataillé pour que son système d’alimentation artificielle soit arrêté. Pour le second, coma à partir de 2008 à la suite d’un accident : les décisions de justice se sont suivies et contredites, jusqu’à ce que V. Lambert décède en 2019, après huit jours sans traitement ni alimentation. Pour ces deux cas, très médiatisés, les combats d’idées ont fait rage. La compagne de V. Lambert, favorable à l’arrêt des soins, a ainsi mis en lumière le soutien religieux dont ont bénéficié les parents de l’intéressé, opposés à la fin de vie de leur fils. 

En attendant l’Europe 

Les Français passent la frontière vers la Belgique pour mourir selon leur vœu : peut-on parler de dumping médical appliqué à la fin de vie en Europe ? Ce passage d’un pays à un autre pour mourir ne devrait-il pas alerter les têtes pensantes européennes ?

La Cour européenne des droits de l’Homme a, à plusieurs reprises, déterminé la compatibilité des législations nationales avec la Convention européenne des droits de l’Homme, même si elle a reconnu, dans son arrêt Koch c/ Allemagne du 19 juillet 2012, qu’il n’y avait pas d’accord entre les États membres du Conseil de l’Europe sur la question du suicide assisté. Toujours dans le cas de V. Lambert, la CEDH a conclu à la non violation de l’article 2 de la Convention, relatif au droit à la vie, en cas d’arrêt des soins et de l’alimentation. Mais depuis l’arrêt Pretty c/ Royaume-Uni (29 avril 2002), la CEDH estime que l’article 3 de la Convention (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) ne peut en aucun cas faire peser une obligation positive sur les Etats, qui les contraindrait à cautionner des actes visant à mettre fin à la vie. La CEDH laisse donc aux États la liberté de décider en matière de fin de vie …

Et l’UE, dans tout ça ? Et bien, elle fait de même ! La fin de vie ne relève pas d’un champ harmonisé, et rend compte des différences rémanentes entre les États, après des décennies d’intégration. Les États à tradition libérale, prônant la valeur individuelle (comme les Pays-Bas), s’opposent à ceux où la tradition sociale est plus forte (comme l’Allemagne). Et la Charte des droits fondamentaux de l’UE ne fait nullement référence à la fin de vie en tant que telle, sauf à avoir une lecture extensive de l’article 1, sur la dignité humaine… En 2012, un débat a lieu au Parlement européen concernant la fin de vie, puis en janvier 2016, un texte déclaratif demandant la légalisation du suicide assisté dans toute l’Union a vu le jour … mais les euro-députés, dans leur majorité, ont refusé de le signer. De quoi espérer l’émergence d’une union de la santé ?

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Diplômée d’une licence d’Histoire et d’un master de Relations Internationales (au cours duquel elle a malheureusement rencontré Léo, membre éminent du triumvirat fondateur de Causons d’Europe), elle est aujourd’hui Officier de protection instructeur à l’Ofpra. Elle profite de son temps libre pour prendre la plume et fouiller les recoins des sujets d’actualité qui l’intéressent … Et aime un peu trop s’écarter du politiquement correct !