Enquête OpenLux du journal « Le Monde » : mais que fait l’Union pour lutter contre l’évasion fiscale ?4 minutes de lecture

Le quotidien national Le Monde publie en ce moment, en partenariat avec seize autres médias, une enquête en plusieurs volets dont la conclusion est la suivante : « le Luxembourg reste un acteur-clé de l’évasion fiscale en Europe. Un Etat dont les pratiques coûtent à ses voisins des milliards d’euros en impôts évités, une situation de moins en moins tenable à l’heure où la crise due au Covid-19 exacerbe les inégalités ». Intéressons-nous à l’évasion fiscale en Europe et comment est-elle (ou non) combattue.

Fraude, optimisation et évasion fiscales, de quoi parle-t-on ?

Dans un récent rapport sur les questions fiscales, l’association Oxfam France définit des notions essentielles pour bien saisir le problème de l’évasion fiscale.

Fraude : une personne physique ou morale (une entreprise) qui contourne la loi pour échapper au paiement de ses impôts de façon illégale. Elles peuvent être multiples : TVA, impôt sur les sociétés, comptes à l’étranger (voir affaire Cahuzac, emblématique).

Optimisation : « fait d’échapper à l’impôt par des moyens légaux ». Elle peut devenir illégale « lorsqu’elle utilise des moyens illégaux ou si elle constitue un abus de droit, une injustice ».

Evasion fiscale : Ce sont souvent des montages financiers illégaux qui permettent à des entités de réduire les impôts qu’ils doivent céder. Un procédé consiste par exemple à déclarer ses revenus ou ses bénéfices dans un Etat où les taux d’imposition sont très faibles. Ces Etats sont appelés des paradis fiscaux.

Les paradis fiscaux : Toujours selon Oxfam, les paradis fiscaux regroupent quatre caractéristiques communes : avantages fiscaux pour les entités ; taux d’imposition très faibles ; peu de transparence ; législation qui assure le secret des détenteurs de l’argent placé dans ces paradis fiscaux.

Or, ces conditions sont réunies par certains Etats européens dont les taux d’imposition sur les sociétés sont plus faibles sur leurs voisins, comme le montre la carte ci-après. C’est le cas notamment de l’Irlande et du Luxembourg qui sont souvent pointés du doigt. Les Pays-Bas sont depuis peu sous le feu des projecteurs, certaines sociétés y installant leurs sièges sociaux pour bénéficier du « climat fiscal » du pays.

Dans le même sens, certains Etats font de ces recettes fiscales des pans essentiels de leurs PIB. En France, en Allemagne ou encore en Suède, les recettes fiscales représentent plus de 40% des PIB. En Irlande et en Roumanie, ce taux est inférieur à 30%. La fraude fiscale constitue donc un réel manque à gagner pour ces Etats dont certains citoyens et entreprises ne leur versent pas d’impôts.

Les instruments de l’Union pour lutter contre l’évasion fiscale

Ce genre de montages financiers est de plus en plus souvent révélé dans les médias : Panama Papers, Paradise Papers, LuxLeaks. Ces travaux journalistiques montrent qu’en dépit de tous ses efforts, la politique européenne de lutte contre la fraude fiscale est inefficace depuis plusieurs dizaines d’années. L’ancien président de la Commission européenne, le luxembourgeois Jean-Claude Juncker, avait été mis en cause en 2017 à la suite de la fuite de documents montrant que pendant son mandat de Premier ministre au Luxembourg, il avait combattu les projets européens de lutte contre l’évasion fiscale. Interrogé par les parlementaires européens, il avait « mis l’accent sur l’ensemble des initiatives prises par la Commission en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale ». Quelles sont ces initiatives ?

  • Des projets et de la législation : des règles pour la transparence des multinationales, l’évasion fiscale des entreprises européennes représentant entre 50 et 70 milliards d’euros échappant aux Etats ; des mesures contraignantes qui viseraient à contrer les schémas d’évasion fiscale et d’autres mesures incitant les Etats membres à agir.
  • Des outils : le système VIES qui promeut le partage des informations relatives à la TVA ; un code de conduite pour la fiscalité des entreprises ; le récent programme Fiscalis qui permet aux administrations fiscales nationales d’échanger des informations.
  • Liste grise et noire des paradis fiscaux : ces listes régulièrement mises à jour référencent les paradis fiscaux considérés comme n’ayant pas coopéré avec l’Union pour mettre fin aux pratiques illégales dans la fiscalité (la liste noire) ou dont les efforts sont encore insuffisants (la liste grise).

Point intéressant, aucun pays membre de l’Union n’est cité dans ces deux listes. Cela fait pourtant des années que le Luxembourg ou l’Irlande pour ne citer qu’eux sont désignés comme, au mieux, des hauts-lieux de l’optimisation et de l’évasion fiscale et au pire, comme étant des paradis fiscaux. Est-ce un manque de courage politique de la part de la Commission européenne ? Un signe d’impuissance face aux pressions que peuvent exercer les multinationales ? La question mérite d’être posée. Tout comme celle de la présence de la Cour de Justice de l’Union (CJUE), de la Banque européenne d’Investissement (BEI), de la Cour des comptes et d’un bureau du Parlement européen au Luxembourg. En termes de communication et de symbolique, on a déjà vu mieux.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.