Fêtes de fin d’année : zoom sur la pêche des coquilles Saint-Jacques5 minutes de lecture
Les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur le départ de celui-ci de l’Union n’aboutissent toujours pas, après plusieurs années de discussions. L’un des derniers points fondamentaux sur lesquels les deux parties n’arrivent pas à s’entendre est la pêche, secteur stratégique en Europe continentale comme outre-Manche. En France, la pêche fait vivre des littoraux entiers. C’est le cas en baie de Seine où la pêche des coquilles Saint-Jacques est vitale et souvent au cœur de tensions entre pêcheurs français et britanniques.
28 août 2018 : bataille navale en baie de Seine
La séquence a fait couler beaucoup d’encre. Le 28 août 2018, des coquilliers français et britanniques s’affrontent en baie de Seine. En cause, de grosses différences de législation qui bénéficient nettement à nos voisins d’outre-Manche et qui inquiètent les pêcheurs français. La pêche de la coquille Saint-Jacques est vitale pour la région normande, puisqu’elle représente 60% du chiffre d’affaire total de la pêche régionale.
La pratique de la pêche de la coquille est strictement encadrée en France comme en Europe. Là où les coquilliers britanniques ne sont pas soumis à des périodes de pêche, les Français n’ont autorisation de pêche qu’entre le 1er octobre et le 14 mai. Au fil des années, la règlementation s’est alourdie pour les pêcheurs français : obligation de déclarer les prises, taille maximale des coquilliers, dimension et structure des filets (les dragues), nombre de débarquements par semaine, temps de pêche, quotas stricts. Autant de restrictions qui ne s’appliquent pas outre-Manche et qui créent des tensions, au moment où les pêcheurs français peuvent à nouveau pêcher la coquille.
Apports du droit européen et international
La réglementation européenne se soucie surtout de la préservation des ressources halieutiques. En 2009, le règlement N°1224/2009 avait tout de même pour ambition de limiter certaines dérives dans la pêche de la coquille. C’est ainsi qu’en 2013, cette législation a permis de sanctionner trois chalutiers britanniques qui ne respectaient pas leurs quotas de pêche. La seule règlementation européenne qui organise la pêche à la coquille Saint-Jacques est le règlement (UE) N°227/2013 visant à la conservation des ressources de pêche par le biais de mesures techniques de protection des juvéniles d’organismes marins. Ce règlement limite à onze centimètres la taille minimale des coquilles pouvant être extraites de leur milieu marin.
La situation du 28 août 2018 est plus délicate. Les coquilliers se sont pris le bec dans une zone située pile à la frontière des eaux territoriales françaises, c’est-à-dire à douze milles nautiques des côtes normandes. Le droit de l’Union et en particulier le règlement de 2013 permet aux pays membres d’accéder aux ZEE (les zones économiques exclusives, dans lesquelles le droit de chaque pays s’applique) respectives des autres pays membres. L’altercation a eu lieu dans la ZEE française, ce qui autorise les pêcheurs britanniques à pêcher la coquille. Les eaux territoriales de la baie de Seine sont réservées aux pêcheurs français. En conséquence, les Britanniques ne bafouaient aucune règle de droit, car c’est bien la France qui a instauré en baie de Seine les législations nationales exposées plus haut. Ces décisions sont encouragées ou permises par l’Union. En effet, le droit communautaire donne la possibilité pour un Etat membre d’établir des règles spécifiques (quotas, période) sur une zone rigoureusement définie, pourvu qu’elles soient plus contraignantes que les règles européennes.
L’inquiétante perspective d’un Brexit sans accord pour les pêcheurs normands
Pour rappel, le différend entre pêcheurs français et leurs homologues d’outre-Manche concerne la législation française que nous venons de présenter. Face à cette législation stricte, les Britanniques ne sont soumis à aucune règle. En effet, la législation anglaise ne restreint ni les périodes de pêche, ni les quotas de pêche en fonction des dimensions des navires, ni le nombre de débarquements autorisés.
Certains pêcheurs normands souhaitent une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord. En conséquence, le Royaume-Uni n’aurait plus accès aux eaux communautaires, ce qui permettrait aux armateurs normands de se tailler la part du lion concernant la coquille Saint-Jacques. Cependant, côté britannique, Londres aurait la possibilité de limiter ou fermer l’accès à ses eaux. Ce qui n’est pas un élément à négliger côté français, puisque la moitié du poisson pêché par les Normands provient des eaux britanniques. Le 10 octobre 2019, un rapport d’information du Sénat soulignait la dépendance de la flotte européenne vis-à-vis des eaux britanniques, à 33% en volume, alors que les Britanniques pêchent à 80% dans leurs eaux. Par ailleurs, la France est le premier client des Britanniques concernant les produits de la mer, représentant 445 millions d’euros, contre moins de 70 millions dans l’autre sens.
Pour finir, soulignons l’existence de nombreux droits d’accès aux eaux territoriales britanniques pour les pêcheurs français, c’est-à-dire à moins de douze milles nautiques des côtes. Les pêcheurs français ont ainsi accès à une importante ressource, alors que la réciproque n’est pas vraie, comme nous l’avons mentionné. Le 21 décembre 2020, le premier ministre britannique Boris Johnson a posé une dernière offre sur la table des négociations : réduction de 35% de la pêche européenne (en valeur, non pas en volume), dans les eaux territoriales britanniques. Au vu de ces quelques éléments, difficile d’imaginer qu’un Brexit dur guérirait tous les maux des pêcheurs français comme normands, à moins que des accords bilatéraux ne soient conclus dans les mois à venir.
Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.