Convention d’Istanbul : une décennie de lutte contre les violences faites aux femmes7 minutes de lecture

La Convention d’Istanbul a dix ans. Ce texte prévoit une harmonisation des moyens législatifs en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Plus récemment, la Turquie a quitté la Convention, fin mars 2021. C’est le moment de vous réintroduire les enjeux d’un tel accord et les débats autour de la notion de genre utilisée dans ces textes.

Qu’est-ce que c’est ? 

Instaurée en 2011, la Convention tire son nom de la ville d’Istanbul où elle a été signée. À ce jour, 34 pays l’ont ratifiée et 12 seulement l’ont signée. C’est le premier texte contraignant portant sur la prévention de la violence à l’égard des femmes. Cela regroupe les violences domestiques, sexuelles, physiques, le viol, les mutilations génitales ou le mariage forcé… des violences que l’ont résume sous l’appellation « violence basée sur le genre ».

Pour encadrer et évaluer la mise en place de ces législations, deux entités suivent les avancées des Parties (des pays), le GREVIO et le Comité des Parties :

  •  Le GREVIO est le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Il est composé de 15 experts et expertes élues pour un mandat de 4 ans. Ces derniers doivent être impliqués dans l’action contre les violences basées sur le genre avant leur mandat. Le rôle du GREVIO est de surveiller la mise en œuvre des recommandations de la Convention par les Parties.
  •  Le Comité des Parties est l’organe qui assure le lien entre le GREVIO et les Parties. Il est en effet composé des représentants nationaux qui adhèrent à la convention. Par le biais de ce comité, les pays peuvent faire remonter leurs suggestions au GREVIO. 

Lors de leur entrée dans la Convention, les pays présentent un rapport législatif au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe basé sur un questionnaire fourni par le GREVIO. Ce rapport est ensuite examiné avec le GREVIO et les représentants de la Partie. Une procédure d’évaluation est menée ultérieurement par le GREVIO pour vérifier la mise en place de dispositifs de préventions des violences faites aux femmes.

Premiers résultats

D’après le 2e rapport d’activité du GREVIO sorti en 2020, deux points peuvent être soulignés :

  • La persistance d’une définition du viol basée sur des preuves de violences physique plutôt que sur le consentement. C’est notamment le cas de la France, comme indiqué dans son évaluation rendue en décembre 2019.
  • La réponse aux violences domestiques ne prend pas toujours en compte la surexposition des femmes à celle-ci, c’est-à-dire que des gouvernements autorisent l’ouverture automatique d’enquête suite à des violences physiques sans demander l’autorisation de la victime, chose qui peut l’exposer à des représailles.

Sur une note plus positive, une analyse comparée des évaluations de référence démontre que les 17 Parties évaluées ont pris des mesures allant dans le sens de la Convention. À titre d’exemple, en Autriche, commettre un délit motivé par la misogynie ou une discrimination en raison du genre est devenu une circonstance aggravante. À l’été 2019, l’outrage sexiste a été créé en France. Côté législation la Suède a modifié la définition légale du viol. Elle est dorénavant  basée sur l’absence de consentement. Ceci a entraîné un crime de « negligent sexual abuse » et « negligent rape ». C’est sur l’auteur des faits qui sera accusé de ne pas s’être assuré du consentement de la victime plutôt que d’effectuer une remise en question du comportement de cette dernière.

Pour la Convention, la crise sanitaire est corrélée à une augmentation des violences de genre. Le 24 mars 2020, la présidente du GREVIO a publié une déclaration appelant les États parties à respecter les normes de la Convention pendant la pandémie de covid-19, car « les mesures de confinement permettent aux auteurs de violence de renforcer leur pouvoir et d’exercer encore plus de contrôle au sein du foyer ». Elle a souligné qu’il n’a jamais été aussi nécessaire de veiller à ce que des services de soutien soient disponibles et à ce que les femmes et les filles sachent où elles peuvent trouver de l’aide. La recherche et mise en œuvre de solutions dans certains pays pour y faire face ont également été soulignées et la présidente invite les Parties à suivre ces exemples.

Divergences et débats autour de la notion de « genre »

Premier pays à l’avoir signée en 2014, la Turquie a annoncé son retrait de la Convention sur décision de Recep Tayiq Erdogan, fin mars 2021. Les conservateurs turcs et religieux ont jugé que la Convention nuisait aux valeurs familiales en encourageant le divorce. Autre point de désaccord, la possibilité pour la communauté LGBTI+ d’utiliser la notion d’égalité afin d’être mieux acceptée par la société, ce que le gouvernement trouve problématique. Une décision dramatique pour Amnesty International pour qui souligne son caractère misogyne et homophobe ainsi « qu’un profond mépris des droits des femmes, des filles et des personnes LGBTI ». L’organisme rappelle qu’en 2020, les associations ont relevé 300 féminicides en Turquie.

Ce n’est pas la première fois que la notion de « genre » suscite la polémique. En juin 2018, Vole Nicolov Siderov, le dirigeant du parti d’extrême-droite bulgare (ATAKA) s’est exprimé sur son compte Facebook. D’après lui, la Convention ouvrirait la voie au mariage homosexuel et ferait référence aux théorie du genre. Mauvaise traduction du mot genre qui irriterait les conservateurs du pays ou réel prétexte pour refuser la défense des droits des femmes ? En tout cas, le pays n’a pas quitté la Convention pour le moment.

La Pologne a aussi menacé de se retirer. Zbigniew Ziobro, ministre de la Justice polonais a annoncé en juillet 2020 qu’il souhaitait entamer une procédure de retrait après consultation du ministère du Travail et des Familles. « L’accord international est inspiré par les idéologies du lobby LGBTQ alors qu’il suffit de lire les Saintes Écritures pour savoir qu’on ne bat pas une femme, on n’a pas à adhérer à une convention animée par des idéologies déformées» a-t-il déclaré.

Ces prises de positions rappellent celles des détracteurs de la théorie du genre français, sujet mis sur la table en 2013 et 2014 lors de l’adoption du mariage pour tous et de la création de l’ABCD de l’égalité dans les écoles. La théorie du genre est une théorie inventée de toutes pièces par ses détracteurs. Il s’agirait selon eux d’une idéologie dont l’objectif serait de détruire le modèle familial traditionnel en faisant la promotion de l’homosexualité, du lesbianisme et des transidentités. Il existe toutefois des études de genre, analysant l’influence de l’environnement social et culturel sur la construction de l’identité personnelle comme le développe Pascal Huguet, Docteur en Philosophie et Directeur de Recherche au CNRS.

Notons que la mention de « gender equality » dans le texte adopté par les dirigeants de l’UE lors du Sommet de Porto du 8 mai dernier a aussi été remise en question par les gouvernements polonais et hongrois. Un député européen rapporte leur crainte de la création « [d’]un espace pour les droits LGBT, ce à quoi elles sont fermement opposées car elles disent que cela pourrait détruire le tissu de leurs sociétés chrétiennes ». Dans le même article, un second diplomate interrogé confirme cette position de principe « Quel que soit le texte (négocié dans l’UE), s’il y a une phrase ou une expression pour protéger les LGBT, ils sont toujours contre ».

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Diplômée d’une licence d’Anglais et d’un master de Journalisme axé sur l’audiovisuel et le documentaire, Clémence retourne à ses premiers amours via Causons d’Europe : les lettres et les langues ! Si ses articles touchent à tous les domaines, elle reste persuadée que la vulgarisation des luttes féministes et queer permettra de sortir des débats stériles.
Au-delà de ça, elle traverse une crise existentielle, car elle ne peut plus aisément prendre le thé avec les britanniques depuis leur départ de l’UE, mais elle tient le coup … Et elle est toujours à la recherche de piges.