L’Union et la Chine #3 : L’offensive chinoise en Europe de l’Est5 minutes de lecture

Depuis une petite dizaine d’années, la Chine renforce ses liens avec les pays d’Europe centrale et orientale. Les tendances varient, bien sûr, selon les Etats, mais le projet de fond est clair. Le régime de Pékin s’implante dans les contrées d’Europe orientale.

Le format « 17+1 », de la lune de miel au divorce ?

Le logiciel de négociations chinois : des partenariats gagnant-gagnant

L’implantation chinoise dans les PECO – les pays d’Europe centrale et orientale – est une réalité qui prend de plus en plus de place dans les politiques publiques nationales. Certaines rédactions parlent d’ailleurs de « pré carré économique » chinois, comme si l’Europe de l’Est était sous la coupe de Pékin. En tout cas, sur le fond, les faits sont indiscutables. En 2016, l’Empire du Milieu lançait un plan d’investissements de 11 milliards de dollars. Objectif, lever 50 nouveaux milliards de dollars destinés à des projets d’envergure : infrastructures, haute-technologie, ou encore, consommation. Mais globalement, tous les secteurs intéressent la Chine : le ferroviaire, l’élevage, la fabrication des machines agricoles.

Les partenariats entre Pékin et les capitales d’Europe orientale dépassent le cadre bilatéral. Depuis 2012, les autorités de chaque Etat participent une fois par an au sommet des 16 puis 17+1. La Grèce s’est en effet greffée à ce forum en 2019.

Ces réunions annuelles permettent de faire un état des lieux des relations et d’envisager de futurs partenariats. Le discours du président croate Andrej Plenkovic d’avril 2019 montre la place prise par la Chine dans les relations commerciales des PECO. Sur la dernière décennie, leurs exportations vers la Chine ont été multipliées par cinq, leurs importations multipliées au minimum par deux. Autre exemple à travers le tourisme : 100 000 touristes chinois se sont rendus en Croatie en 2016, 250 000 en 2018.

Vantant les atouts géographiques de la Croatie, qui dispose d’une large façade sur la Méditerranée, A. Plenkovic ouvre les portes des PECO à la Chine via ses ports maritimes. Ce n’est d’ailleurs pas le premier à agir de la sorte, car Pékin contrôle déjà des ports européens de premier plan. Une étape indispensable à la réalisation du « rêve chinois ». Un rêve bien éloigné du partenariat gagnant-gagnant.

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Une coopération mise en retrait par la pandémie de Covid-19

La dernière réunion des 17+1 le 10 février dernier n’a pas fait grand bruit. Et pour cause, d’après Les Echos, sa tenue n’a été confirmée qu’au dernier moment. Le quotidien économique avance plusieurs explications :

  • D’abord, la Russie reste perçue comme une menace dans certains pays d’Europe de l’Est. En tête, Pologne et pays baltes. Les Etats-Unis figurent comme l’allié de ces Etats et non pas la Chine.
  • Ensuite, Pékin a globalement freiné ses investissements dans les PECO car souhaite se tourner vers le numérique, au détriment des infrastructures.

Relevons tout de même quelques éléments dans les documents officiels : des clichés d’ouvriers chinois au Pirée, le port d’Athènes et dans des usines polonaises ; des palettes de matériel médical données à la Hongrie ; un train de la China railway en République tchèque. Et bien sûr, l’inévitable rengaine : « la Chine est prête à travailler avec la Grèce pour consolider le mécanisme de coopération et sauvegarder conjointement le multilatéralisme et le libre-échange pour obtenir des résultats tous gagnants. » Comme une façon de rappeler que si 2021 n’a pas été une réussite, les fondations de l’implantation chinoise dans les PECO sont là.

Hongrie et Serbie, les plus sinophiles d’Europe de l’Est

Le vaccin comme fer de lance de la diplomatie chinoise

Deux pays figurent aujourd’hui comme les manifestations concrètes du « pré carré économique » chinois. La Chine saisit pleinement l’opportunité qu’offre la crise sanitaire d’un point de vue diplomatique. Ainsi, la Hongrie est depuis le 24 février le premier pays européen à utiliser le vaccin chinois, produit par Sinopharm. Budapest a d’ailleurs commandé 5 millions de doses de vaccin destinées à vacciner 25% de la population hongroise. Mais comment les autorités ont-elles pu contourner l’Agence européenne du médicament, chargée de valider l’utilisation des vaccins ? Par un décret validant la mise sur le marché des vaccins chinois, sur simple accord du Ministre des Affaires étrangères.

En Serbie, même son de cloche. Le président Aleksandar Vucic n’a cessé de déplorer le manque d’aide européenne. Il a même érigé la Chine comme étant le seul pays au secours des Serbes.

Evidemment, Pékin n’a pas manqué le coche. Résultat, 1.5 million de doses livrées à Belgrade qui a dans la foulée annoncé être le premier pays européen à produire le vaccin chinois sur son sol, d’ici le 15 octobre.

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Les secteurs stratégiques dans le viseur de Pékin

Les autorités hongroises et serbes entretiennent cette sinophilie depuis plusieurs années. Budapest prévoit à ce titre d’être la porte d’entrée en Europe orientale des Nouvelles routes de la soie. Connu sous le nom One Belt, One Road, le projet consiste en la construction de multiples infrastructures ferroviaires, routières et maritimes afin de connecter l’ensemble du commerce mondial… au service de Pékin.

A cette fin, la Hongrie développe le projet East-West Gate et d’autres infrastructures pour relier les pays voisins et surtout, compléter le réseau de chemin de fer censé relier la Chine à la plupart des capitales européennes. Par exemple, une voie ferrée entre Budapest et Belgrade, financé à 85% par des prêts chinois. Préparer l’avenir, cela passe aussi par le numérique et la jeunesse. A ces fins, c’est Huawei qui déploiera le réseau 5G en Hongrie, tandis que l’université chinoise Fudan devrait ouvrir un campus dans la capitale hongroise en 2024.

La situation est comparable en Serbie. Illustration à travers le discours du président serbe A. Vucic à l’issue d’une rencontre avec l’ambassadeur chinois, le 6 mars 2021. Selon le communiqué, les exportations serbes vers la Chine ont été multipliées par 15. La Chine va quant à elle investir dans une mine, un contournement routier, des chemins de fer et dans la construction du métro de la capitale. Le tout, sous le regard bienveillant de Xi Jinping, dont les portraits commencent à décorer les rues de Belgrade. Si Paris valait bien une messe, il faut croire que Belgrade vaut bien une photo.

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Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.