Plus de sans-abris d’ici 2030 dans l’Union européenne ? Un objectif incompatible avec le système économique actuel5 minutes de lecture
La Fondation Abbé Pierre a rendu la semaine dernière son rapport sur l’état du mal logement en France en 2020. Emmanuel Macron ne voulait plus de décès durant son mandat, il y en a eu 495 en 2019 et au moins 452 en 2020. Dans un pays qui comporte, selon l’INSEE, plus de 3 millions de logements vides, soit 8,4% du parc immobilier national. Une situation qui n’est pas propre au territoire français, mais qui se retrouve sur tout le continent européen.
Etat des lieux du sans-abritisme et du mal-logement en Europe
En juillet 2020, la Fondation Abbé Pierre avait en effet publié le « 5e regard sur le mal-logement en Europe ». Concentrons-nous sur la situation des sans-abris, objet d’une résolution adoptée par le Parlement européen en novembre dernier.
Le nombre précis de sans-abris est estimé à environ 4 millions de personnes dans l’Union européenne, il est inconnu en Europe. En revanche, on sait qu’il y a près de 340 000 sans-abris en Allemagne, plus de 12 500 en dessous de 25 ans aux Pays-Bas et que 20% des personnes LGBTQI européennes sont privées de domicile. Le nombre de sans-abris augmente depuis de longues années, même s’il a bien sûr explosé à la suite de la crise de 2008 et ses impacts sur le logement. Par exemple, aux Pays-Bas, le nombre de personnes sans domicile a augmenté de 120% entre 2009 et 2018, pour atteindre le chiffre de près de 40 000 individus.
Qui sont-elles et qui sont-ils ? Des femmes à 20%, des personnes de plus de 60 ans à 30%, des jeunes entre 18 et 29 ans – la proportion est délicate à estimer car nombre de jeunes ont recours à des « possibilités alternatives » du type logement chez la famille ou des amis – et surtout, énormément d’étrangers. Sans oublier les réfugiés et demandeurs d’asile dont les demandes ne sont pas acceptées (60% des demandes d’asile étaient rejetées en moyenne dans l’Union en 2018).
Plus de sans-abris d’ici 2030 dans l’Union : objectif ambitieux, mais peu de moyens européens
Que peut faire l’Union pour lutter contre le sans-abritisme ? A vrai dire, pas grand-chose. La résolution du Parlement adoptée en novembre, qui demande la fin de cette situation d’ici 2030 – alors que le nombre de sans-abris a augmenté de 70% en 10 ans-, précise bien que l’Union n’a pas compétence en termes de logement. Ce sont effectivement les Etats qui confèrent à l’Union ses pouvoirs et le logement n’y figure pas. Les politiques publiques de logement sont nationales et propres à chaque pays et ville.
En revanche, le droit au logement et la lutte contre l’exclusion sociale sont des principes inscrits dans les traités européens, la charte des droits fondamentaux de l’Union, la charte sociale européenne. A ce titre, l’Union se donne des cadres (le Socle des droits sociaux européens), consacre une partie de ses fonds (le Fonds Social Européen, le Fonds d’aide aux plus démunis ou le FEDER) pour aider les Etats membres à éradiquer le sans-abritisme. La Commission européenne peut donc impulser les Etats à prendre des mesures en ce sens, mais ne peut en être à l’origine.
Et si les Vingt-Sept passaient à côté du vrai problème ?
La même résolution s’intéresse tout de même aux causes qui ont pu amener à l’aggravation de la situation du logement en Europe. Les coûts du logement ont augmenté, le prix de l’immobilier a augmenté de 5,2% entre 2019 et 2020, les politiques publiques des Etats ne sont pas adaptées, la protection sociale a reculé et comme mentionné plus haut, il y a eu la crise financière et bancaire de 2008.
La Fondation Abbé Pierre est force de proposition et dans ce même rapport, évoque plusieurs solutions qui pourraient être envisagées par les Etats : s’engager dans des politiques sur le long-terme et non pas « en pansements sur du court terme » ; renforcer l’évaluation et le suivi des sans-abris « en mobilisant l’expertise et les ressources des entités statistiques existantes ». Un appel à peine voilé aux Etats pour solliciter la Fondation et ses consœurs pour mener ces politiques publiques nécessaires : « (34 %) de la population de l’OCDE enquêtée réclament plus d’aides des gouvernements pour un meilleur accès au logement abordable. »
Ce que le texte du Parlement européen ne dit pas, c’est que c’est finalement un système économique prôné par l’Union qui est le premier responsable de cette situation. Ce système, entendons-nous bien, c’est le capitalisme mondialisé qui a amené la financiarisation et la marchandisation de l’économie. Résultat, n’importe quel bien peut être acheté et mis sur le marché, y compris les biens essentiels.
Les traités européens insistent sur la mise en concurrence des « services d’intérêt économique général » : énergie, transports, distribution de l’eau sont objet de privatisation, dans l’objectif louable mais souvent peu réalisé de proposer plus de services à des prix plus bas et de meilleure qualité. Dans le cas de la santé, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit.
L’impact du système économique actuel sur le logement a été mis en valeur dans un rapport de l’ONU publié en 2017, dont voici un extrait :
« Le rôle croissant et la domination inédite exercés par les marchés financiers et les entreprises dans le secteur du logement sont maintenant généralement désignés par l’expression « financiarisation du logement » […] L’expression désigne la façon dont les investissements en capital dans le secteur du logement dissocient de plus en plus le logement de sa fonction sociale, qui est d’offrir à chacun un lieu où vivre en toute sécurité et dans le respect de la dignité humaine, et nuisent de ce fait à la réalisation du droit fondamental au logement. Elle renvoie à la manière dont les marchés du logement et les marchés financiers font abstraction des peuples et des communautés ainsi que de la place que le logement occupe dans le bien-être de ces peuples et communautés. »
Dès lors, la fin du sans-abritisme en Europe d’ici 2030 est conditionnée à une réforme en profondeur des pratiques économiques actuelles, sans quoi le nombre de personnes dans la rue ne baissera pas. Pire, il augmentera.
Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.