Nouveaux rebondissements dans la construction du gazoduc Nord Stream II4 minutes de lecture
L’installation du gazoduc Nord Stream II, qui doit approvisionner l’Allemagne en gaz russe, est aujourd’hui à nouveau ralentie. En cause, le retrait d’entreprises européennes impliquées dans la construction suite à des sanctions américaines. Ce dossier stratégique pour l’Allemagne et pour l’Union a mis sur la table de nombreux débats qu’il convient d’éclairer.
Aux origines du gazoduc Nord Stream II
Ce projet de gazoduc vise à acheminer du gaz en provenance de Russie vers l’Allemagne par la mer Baltique. Son tracé serait assez proche de son grand frère, Nord Stream I, en service depuis 2012. Ainsi, il mettrait hors service certains circuits d’approvisionnements, en particulier en Ukraine. Le projet est financé par une entreprise appartenant à Gazprom – un géant russe du gaz – et des partenaires européens, par exemple, Engie.
L’Ukraine a rapidement rejoint le camp des opposants à Nord Stream II. Affaiblie par un conflit engagé depuis 2014 et toujours actif, l’économie ukrainienne est basée sur l’énergie et en particulier le gaz. Moins elle est impliquée dans le transit du gaz provenant de Russie et acheminé vers l’Europe, plus elle est fragilisée. Les défenseurs de l’environnement ont également désapprouvé le projet. La mer Baltique est une mer peu profonde déjà marquée par un trafic maritime important et soumise à une forte pollution.
Les débats : dépendance énergétique et fractures européennes
Bien sûr, le gazoduc a fait réfléchir dans l’Union européenne. Il faut dire que les Vingt-Sept sont fortement dépendants des importations de gaz de pays non-membres de l’Union. Ainsi, les 2/3 du gaz consommé au sein de l’UE est importé. La Russie et la Norvège sont ses principaux pourvoyeurs avec respectivement 40.4% et 18.1% des exportations totales vers l’Union en 2018. On dit que les approvisionnements ne sont pas assez diversifiés. Cette situation pose la question de la dépendance énergétique de l’Union européenne, en particulier de l’Allemagne, qui importe la quasi-totalité du gaz qu’elle consomme et la Russie la fournissant massivement. Effectivement, l’Allemagne est dépendante de la Russie et à ce titre, Moscou peut pratiquer une diplomatie énergétique offensive. Les autorités russes peuvent aisément faire du chantage au gaz en échange de contreparties. Mais l’économie russe repose énormément sur le commerce des énergies et une dégradation de ses exportations jouerait en sa défaveur. C’est d’ailleurs pour cela que le Kremlin a commencé à signer d’importants contrats de fourniture de gaz avec la Chine voisine.
Au sein même de l’Union européenne, Nord Stream II a amené de nombreuses positions contradictoires, présentées dans un rapport publié en décembre 2018 par l’IRSEM, l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire. Les autrices et auteurs pointent évidemment une diversification de l’approvisionnement trop faible. Certains Etats effrayés par la Russie ont d’ailleurs choisi de se fournir davantage auprès des Etats-Unis et du Qatar – la Pologne – ou ont exprimé leur désaccord en soutien à l’Ukraine. C’est le cas des pays Baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), même si leurs voix pèsent peu dans ce dossier car ils sont fortement dépendants et de l’Allemagne, et de la Russie.
La Russie défend son projet en expliquant que la concurrence est déjà effective avec plusieurs entreprises russes fournissant du gaz naturel liquéfié (GNL) à l’Union et que les Etats-Unis exportaient également du GNL en Europe. De plus, aux yeux de Moscou, le Nord Stream s’inscrit dans la volonté de transition énergétique européenne car le gaz est plus propre que le charbon. Ce qui arrange bien Moscou et son économie, bien entendu.
Des entreprises européennes quittent le navire, la construction au ralenti
Début janvier 2021, Euractiv rapportait que des entreprises participant à la construction du gazoduc avaient cessé les travaux. La raison ? La crainte de voir des sanctions américaines leur tomber dessus. Washington estime que la construction de ce gazoduc renforcerait la dépendance européenne au gaz russe. Les sanctions avaient été annoncées fin 2019 à la suite d’une loi promulguée par Donald Trump, président des Etats-Unis à ce moment-là. L’Allemagne avait dénoncé une ingérence américaine dans ses affaires intérieures. Les travaux avaient repris après un an d’interruption. Il reste aujourd’hui environ 6% des 1 300 km du gazoduc à construire.
Aujourd’hui et toujours selon Euractiv, la stratégie américaine pourrait réussir. Les entreprises visées par les sanctions sont celles qui doivent s’assurer de la conformité des travaux qui composent le gazoduc. Sans certificat de leur part, le gazoduc ne pourrait probablement pas être mis en service. La situation actuelle d’Alexeï Navalny, opposant à Vladimir Poutine, pousse certaines voix européennes à arrêter la construction de Nord Stream II. Depuis le 24 janvier, un navire russe a repris les travaux dans les eaux territoriales danoises. Dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler l’héritage de la Guerre froide, avec une Union divisée et deux puissances non-européennes désireuses d’y exercer leur influence. Et un plomb dans l’aile pour les ambitions d’autonomie stratégique européenne.
Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.