Les sombres coulisses du Parlement européen : entre harcèlement moral et sexuel5 minutes de lecture

Doucement mais sûrement, l’Union aborde la question du harcèlement sexuel au sein de ses propres institutions. Des promesses de progrès peu exposées dans l’espace médiatique, alors même que son Parlement a connu son propre #MeTooEP.

Recueil de misogynie 

L’iceberg émerge en 2014. Tout part d’un « petit cahier de notes sexistes » tenu par Jeanne Ponté, alors assistante parlementaire d’Édouard Martin (groupe S&D). Des histoires « entendues, vues et vécues » au Parlement européen par Jeanne Ponté elle-même, ainsi que ses collègues. « Mes témoignages vont de l’agression à l’attouchement en passant par les commentaires sexistes » précise-t-elle à LCI en 2017. Elle ajoute également que le manque de visibilité médiatique du Parlement de manière générale ainsi que le recours récurrent aux différences culturelles ou de la plaisanterie sont utilisés pour excuser ce sexisme. Sur la matinale d’Euradio du 5 mai 2019, Jeanne Ponté insiste : c’est un harcèlement qui n’a pas de couleur, pas d’origine.

La vague #MeToo n’a pourtant pas vraiment atteint le Parlement européen dès l’automne 2017. C’est face à une assemblée presque fantôme que plusieurs eurodéputées ont partagé leurs expériences de harcèlement sexuel dans l’hémicycle. Certaines, comme la députée allemande Terry Reintke (Bündis 90 / Die Grünen), ont brisé le silence en brandissant des pancartes #MeToo. Il faut attendre l’année suivante pour plus de bruit. À l’occasion de la Journée des Droits des Femmes en mars 2018, le mouvement #MeTooEP a été lancé et compile depuis une quarantaine de témoignages anonymes sur son site internet. Parmi les posts, des agressions sexuelles, comme des baisers forcés, ou des parties du corps touchées sans consentement. On retrouve également des remarques sexistes pour un stylo ramassé, ou encore des avances refusées  qui se sont mues en harcèlement : 

Publié le 24 octobre 2018

«J’ai eu beau refuser poliment ses avances, il n’a pas pris mon refus en compte. Il a continué à me convier par mails à des dîners et à me lancer des regards insistants en réunion. 

Une fois qu’il a compris que je n’étais pas intéressée, il a décidé de se venger en se plaignant de mon travail auprès de mes collègues et de ma hiérarchie» 

Une couverture médiatique faible mais qui a payé

Suite à la prise de parole en octobre 2017, le Parlement a adopté une résolution pour lutter contre le harcèlement et les abus sexuels en Europe et au sein de ses institutions. Le fonctionnement du comité anti-harcèlement, créé en 2014, a été revu. Toute personne, quelque soit sa fonction au sein du Parlement, peut le saisir pour porter plainte.

Grace à la commission des droits des femmes et à l’égalité des genres, une audition a été tenue le 9 novembre 2020, au sujet de l’avancement des différentes mesures prises depuis 2017 et leur effectivité. Dimitrios Papadimoulis, vice-président, a rappelé les deux objectifs de ces mesures. Une politique de tolérance zéro vis-à-vis du harcèlement et des abus sexuels, ainsi que la volonté de faire du Parlement européen une institution de pointe en matière de lutte contre le harcèlement.

Concrètement, l’action la plus marquante est celle du changement du règlement du Parlement. Dorénavant, tout comportement qui pourrait constituer un harcèlement moral ou sexuel est interdit, précise l’eurodéputée LR Anne Sander. De même, les députés se doivent de ne pas tenir des propos insultants, offensants ou discriminants. Enfin, depuis les dernières élections, chaque députée ou député signe une déclaration en début de mandat stipulant son engagement à garantir un environnement de travail approprié à son personnel. Sans signature, la ou le député ne pourra être élu au Parlement ou devenir rapporteur.

Toujours au cours de cette audition, Anne Sander se félicite de la bonne tenue de la feuille de route élaborée depuis 2017 : « 90% de la feuille de route a été mis en œuvre » selon elle. Côté prévention, elle affirme que plusieurs députés ont été formés et sensibilisés à ces problématiques et que des brochures et campagnes de sensibilisations ont été créées. Le plus important reste la création d’un réseau de personnes de confiance auquel les victimes peuvent s’adresser anonymement pour porter plainte et trouver un soutien à la fois médical et psychologique.

Quand vient le tour de Milena Horn, assistante parlementaire et porte parole du mouvement MeTooEP, le rôle des membres dudit réseau de confiance est remis en question. Dans la pratique, ils ne rempliraient pas leur rôle de médiateur. Enfin, comme tous les autres intervenants, l’accent sur la protection des stagiaires au Parlement a été mise en avant.

Entre 2018 et 2019, 23 des dossiers traités par le comité concernaient des allégations de harcèlement moral, 3 de harcèlement sexuel. Sur ces derniers dossiers, seuls 2 ont vu leurs faits avérés après enquête de la commission et ont mené à des sanctions.

Le bilan semble mitigé. L’anonymat des plaintes et des procédures ne permet pas un état des lieux total de l’effectivité des mesures. Deux nouveaux témoignages ont d’ailleurs été publiés sur le site MeTooEP en septembre 2020. Comme l’a conclu Ellen Robson, la présidente du comité consultatif, le Parlement doit continuer d’écouter les victimes et surtout, d’informer, tout en promouvant l’accès à des postes de direction aux femmes. Plus de représentation permet selon elle, la création d’un environnement plus inclusif.

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Diplômée d’une licence d’Anglais et d’un master de Journalisme axé sur l’audiovisuel et le documentaire, Clémence retourne à ses premiers amours via Causons d’Europe : les lettres et les langues ! Si ses articles touchent à tous les domaines, elle reste persuadée que la vulgarisation des luttes féministes et queer permettra de sortir des débats stériles.
Au-delà de ça, elle traverse une crise existentielle, car elle ne peut plus aisément prendre le thé avec les britanniques depuis leur départ de l’UE, mais elle tient le coup … Et elle est toujours à la recherche de piges.