Point de vue : Loi de sécurité globale, la flamme des libertés s’éteint au pays des Lumières4 minutes de lecture
« La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas », lit-on chaque mercredi en dernière page du Canard enchaîné. A condition que les pouvoirs publics n’envisagent de la bâillonner au gré d’une proposition de loi indigne. Car au-delà de la liberté d’informer, ce sont des libertés fondamentales que ce texte piétine allègrement.
Plus qu’une réglementation sur la « sécurité globale » comme elle s’intitule, il s’agit surtout d’une proposition de loi de flicage global. En France, le Défenseur des Droits, qui a bien sûr décortiqué ce texte taillé dans un bois pourri jusqu’à la sève, a d’abord pointé les articles 20 à 22 qui risquent de porter atteinte au droit au respect de la vie privée : accès élargi aux images captées par des caméras individuelles et surveillance par drone notamment. Un droit garanti par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, la Convention européenne des droits de l’Homme et la charte des droits fondamentaux de l’UE. Rien que ça. Porte ouverte donc à l’intrusion de tous dans la vie de chacun. Lors de son intervention à l’Assemblée le mardi 17 novembre, le député Les Républicains Eric Ciotti s’en est pris aux « nervis d’extrême-gauche », qui manifestaient devant le Palais Bourbon, pour « contraindre [leur] débat ». Il est plus qu’inquiétant d’instaurer un clivage politique sur le ciment de notre Histoire. Tout comme il est hors de question de céder un centimètre de liberté à celles et ceux qui, rongées et rongés par leur névrose sécuritaire, ne cesseront de vouloir nous imposer des kilomètres de sécurité.
C’est cependant l’article 24 de la proposition de loi qui a fait le plus couler d’encre et causé des crises d’urticaire chez celles et ceux qui sont attachés à la liberté d’informer et au droit à l’information. Quand bien même Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et consorts, souhaiteraient balayer cette inquiétude d’un revers de main, personne n’est dupe. Le simple fait d’envisager pareille mesure suinte l’indécence. Non, il n’est pas question de sécurité globale lorsque l’on ouvre la porte à la violence aveugle d’une partie des forces de l’ordre. Oui, il y a des bons flics, fatigués de leurs conditions de travail et des insultes qu’ils essuient, la faute à leurs collègues dépourvus de connexions neuronales. Et il n’est pas concevable qu’ils paient les pots cassés pour les chiens de garde d’un Etat qu’ils sont prêts à défendre à coups de matraque et de gaz lacrymo.
Mais empêcher la diffusion d’images de ces hommes et femmes en uniforme, se prétendant au-dessus des lois et prêts à fracasser un cortège entier, c’est intolérable. Oui, une partie des forces de l’ordre est violente et l’est de façon croissante. En 2017, l’IGPN (la Police des polices) avait ouvert 1 108 enquêtes, dont 574 pour violences volontaires par des forces de police. En 2019, c’étaient 1 460 enquêtes dont 868 pour violences volontaires. En 2017, 6 357 tirs de LBD (lanceur de balle de défense) recensés, 18 976 en 2018 et 10 785 en 2019. Rappelons d’ailleurs qu’il s’agit d’une arme de guerre, qui a été utilisée comme des pistolets à eau lors des samedis jaunes, par des membres des forces de l’ordre qui n’avaient pas été formées à son usage et qui prenaient un malin plaisir à dégainer à l’aveugle sur les personnes mobilisées.
Loi de sécurité globale, mais de quelle sécurité parle-t-on ? Elle ne permettra ni de dédouaner les forces de l’ordre qui bossent dans les règles, ni de protéger les manifestantes, manifestants, passantes et passants, journalistes et toute personne qui battra le pavé lors des mobilisations. Elle passera sous silence des violences policières absolument insupportables quoique trop souvent banalisées, à l’heure où il faudrait revoir de fonds en combles l’institution pour le bien de toutes et tous. Effectivement, il n’y a plus de violences policières sans preuve. Loi de sécurité globale, elle contraindra le travail des journalistes et, à terme, fragilisera notre démocratie. Au point que l’ONU s’est même prononcée sur ce dossier, décrédibilisant tous les arguments des obsédés sécuritaires qui hurlaient encore à l’extrême-gauchisme des « journalopes » et autres « merdias ».
Enfin, cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte législatif plus global qui a conduit à des dérives comparables à celles des régimes autoritaires. Je fais référence ici aux lois antiterroristes tantôt utilisées à des fins politiques afin d’écarter des activistes un peu trop gênants et à la loi anticasseurs : fouilles multiples aux abords des lieux de manifestation, délit de dissimulation volontaire du visage et interdictions préventives de manifester, avant que le Conseil constitutionnel ne la censure.
Lors des manifestations de samedi dernier, à Paris, le parvis des droits de l’Homme, au Trocadéro, était barricadé de toutes parts par les pandores mobilisés pour l’occasion. Une action hautement symbolique qui peut nous faire craindre le pire. « La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas ». Alors usons de ces libertés que l’on a cru trop souvent acquises, avant qu’il ne soit trop tard. Conseil constitutionnel ou pas, cette proposition est déjà une tâche d’huile indélébile dans les rues du pays qui se veut berceau des droits de l’Homme.
Âgé de 23 ans, Léo est l’un des trois fondateurs de Causons d’Europe. Ayant obtenu une licence d’Histoire et un master de Relations Internationales, il est actuellement en service civique chez Radio Campus Angers. Son dada ? Causer d’Europe avec celles et ceux qui ne disposent pas de beaucoup d’informations à ce sujet, voire n’en disposent pas ! Passionné par la politique, le sport, l’Europe et le monde, les mouvements sociaux, la presse indépendante … Il répond toujours présent pour exprimer son avis, de préférence à l’encontre des discours consensuels, et il se rapproche des lectrices et lecteurs pour s’assurer de sensibiliser le public le plus large possible.