Armée européenne : des parlementaires allemands ressuscitent un vieux projet6 minutes de lecture

Selon Die Welt, le groupe parlementaire du SPD (Parti social-démocrate, centre-gauche, actuellement membre de la coalition au pouvoir en Allemagne) au Bundestag prépare un plan pour constituer une armée européenne indépendante. Elle constituerait dès lors une « 28e armée européenne ».

Quelle forme prendrait cette armée européenne ?

  Cette armée européenne serait ainsi non pas composée d’éléments des différentes armées nationales européennes, mais placée directement sous le contrôle d’une commission du Parlement européen. C’est en tout cas ce qui ressortirait du document de travail du SPD auquel Die Welt a pu avoir accès.

  Le but serait donc non pas de renforcer les liens entre les armées européennes actuelles, mais de créer une force nouvelle aux ordres du Parlement européen. Celle-ci dépendrait d’un nouveau commissaire européen de la Défense et d’une commission de la Défense. C’est cette dernière qui pourrait saisir les eurodéputés, au cours d’un vote, pour décider des opérations de cette nouvelle armée européenne.

  Selon Fritz Felgentreu, député du SPD au Bundestag, interrogé par Die Welt, le but affiché du projet est de s’affranchir des obstacles et des lenteurs occasionnés par les différentes souverainetés nationales sur le plan de la coopération militaire européenne. La proposition est donc conçue comme une réponse aux échecs, ou en tout cas à la stagnation, que connaît l’intégration militaire européenne depuis de nombreuses années, nous y reviendrons.

  Qui fournirait alors les troupes de cette armée européenne ? Il s’agirait non pas pour les États membres de mettre à disposition de cette nouvelle armée européenne hommes et matériel, mais de recruter les membres de cette nouvelle force au sein des unités des différents États membres de l’Union européenne. L’objectif serait, à terme, que cette armée européenne atteigne le nombre de 8 000 soldats, disponibles à tout moment pour répondre à une situation d’urgence à la demande du parlement et sous sa seule autorité.

 

L’armée européenne : une idée pas si neuve

La Communauté européenne de défense (CED) et son échec (1950-1954)

  Dès 1945 et la partition de l’Europe entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest, l’idée d’une armée européenne avait fait son chemin. Le projet, alors appelé, Communauté européenne de défense, est pensé à partir de 1950. Son but est de défendre l’Europe de l’Ouest face à une possible attaque venue de l’Est en créant une armée européenne supranationale.

  Le projet est fortement soutenu par les États-Unis qui sont au même moment impliqués dans la guerre de Corée et souhaitent notamment un réarmement de l’Allemagne de l’Ouest pour assurer sa propre défense. C’est notamment ce problème du réarmement de l’Allemagne, exigé par les États-Unis mais refusé en bloc par les Français, les Belges et les Luxembourgeois, qui pousse à penser à cette armée européenne : elle serait un cadre au sein duquel le réarmement de l’Allemagne serait plus acceptable.

  Autre problème, la Communauté européenne de défense serait sous commandement de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), alliance militaire créée en 1949 qui regroupe les États-Unis et les États d’Europe occidentale. Mais l’OTAN est surtout dominée par les Américains, le CED serait donc, plus qu’une armée européenne indépendante et supranationale, une armée dépendant des États-Unis.

  La Communauté européenne de défense fait l’objet de plusieurs projets successifs à partir de 1950. Un traité prévoyant sa création est finalement signé en 1952 par les États européens qui devaient rejoindre le projet : l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et, bien entendu, la France.

  Mais le traité doit encore être ratifié, en France, par l’Assemblée nationale. Or en France le projet de la CED agite l’opinion publique. Les communistes d’abord, puis les gaullistes, sont vent debout contre le projet et, plus largement, tous les partis de la IVe République sont traversés et même parfois divisés par ce sujet. Ainsi, en 1954, l’Assemblée nationale rejette finalement le projet de la CED, mettant fin au projet. Quant à l’Allemagne de l’Ouest, son réarmement aura bien lieu, dans le cadre de l’OTAN.

De nouveaux projets depuis les années 1990

  Pendant la Guerre froide, la défense de l’Europe de l’Ouest est donc pensée au sein de l’OTAN, après l’échec cuisant de la Communauté européenne de défense. Il faut attendre l’effondrement du bloc soviétique pour entrevoir de nouveaux projets européens en faveur d’une défense commune hors du cadre de l’OTAN.

  C’est le cas dès 1989, avec la création de la Brigade Franco-Allemande qui réunit sous un même commandement, basé à Müllheim, en Allemagne et dont dépendent plusieurs unités des deux côtés de la frontière. En 1992, année de création de l’Union européenne par le Traité de Maastricht, est aussi créé l’Eurocorps, basé à Strasbourg et devenu depuis 2002 le Corps de réaction rapide européen. Mais cet Eurocorps est avant tout un État-major, et il ne réunit que 9 pays membres de l’Union européenne, plus la Turquie.

  En 2007 sont créés les Groupements tactiques de l’Union européenne, en gestation depuis le début des années 2000. Il s’agit d’unités militaires mises à disposition par des États-membres selon un calendrier de rotation qui associe toujours au minimum deux d’entre eux, à chaque fois pour une période de six mois. Les effectifs de ces forces sont de 1 500 à 2 500 hommes. Le but est d’offrir à l’Union européenne une force militaire rapidement mobilisable en cas d’urgence. Mais les effectifs de ces unités restent faibles et ne peuvent pas réellement être qualifiés d’armée européenne.

 

  La proposition du SPD est donc neuve, dans le sens où le but est de créer une véritable armée européenne indépendante des commandements militaires des différents États membres de l’Union européenne. Mais il reste à savoir si cet énième projet sera suivi d’effet, ou si il sera à ranger au nombre des précédents qui, jusqu’ici, n’ont pas vraiment abouti.

 

Bibliographie :

Tony Judt, Après-Guerre: Une histoire de l'Europe depuis 1945, Malakoff, A. Colin, 2010.
Maurice Vaïsse, Le général de Gaulle et la défense de l'Europe, 1947-1958. In: Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°29, 1992. Faire et refaire les armées - Penser et repenser les défenses , sous la direction de René Girault . pp. 5-8.
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