L’Union et la Chine #2 : Commerce et investissements, le réveil des Vingt-Sept ?6 minutes de lecture
L’Union européenne et la Chine sont deux puissances économiques de premier plan. Mais, depuis quelques années, l’Empire du milieu développe un projet qui a de quoi inquiéter. L’attentisme de la Commission face aux ambitions chinoises a de quoi laisser perplexe. La prise de conscience européenne, en 2019, est peut-être trop tardive pour faire un retour en arrière.
Cadrage : l’ouverture de la Chine au commerce international
En une quarantaine d’années, la Chine est passée d’un pays refermé sur lui-même d’un point de vue économique à une, si ce n’est la puissance économique de premier plan. Tout commence en 1978, lorsque Deng Xiaoping prend la tête du pays. Dans les années 1980 en effet, la République populaire s’ouvre sur le monde économique. D’abord, à travers les « quatre modernisations » qui concernent notamment l’industrie et la défense et l’ouverture des marchés agricoles. Mais surtout, en 1979, le Parti communiste ouvre des zones économiques spéciales (ZES) dans le Sud-Est. Quatorze villes portuaires ont ensuite rejoint les ZES. Dans cette continuité, les bourses de Shangaï et Shenzhen ouvrent en 1990. En 1992, les dirigeants chinois définissent la particularité de ce système économique proche du capitalisme : économie socialiste de marché.
Au début de notre siècle, la place de la Chine dans le commerce mondial croît sans commune mesure. L’ « atelier du monde » passe de $250 milliards d’exportations en 2000 à $1 900 en 2011. En 2001, elle entre dans l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC et tisse des partenariats économiques, notamment en Afrique et en Amérique latine pour satisfaire ses immenses besoins en ressources naturelles. La Chine occupe une place de choix dans le numérique. Ses grandes entreprises, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi et Huawei), très proches du gouvernement, jouent un rôle de premier plan dans le domaine.
La Chine a enfin présenté en 2013 un projet commercial pharaonique : la Belt & Road Initiative ou les Nouvelles routes de la soie.
- Un but, connecter l’ensemble de l’espace eurasiatique à l’Afrique et le Moyen-Orient. Soixante-dix pays sont concernés. La Chine entend ainsi soutenir sa croissance, trouver des débouchés à ses productions et chasser le commerce des Etats-Unis de l’espace.
- Les coûts sont à la hauteur de l’enjeu, $1.3 trillion.
- Les moyens ? Un immense réseau d’infrastructures routières, ferroviaires, maritimes et énergétiques.
2013-2019, le tissage des Nouvelles routes de la soie
L’idée des Nouvelles routes de la soie chemine et arrive en Europe… Où sa réception varie au fil des ans. À l’intrinsèque, le projet ne pose pas de problème aux européens, bien au contraire ! Ils y trouveraient une opportunité d’accroître le libre-échange en facilitant les interconnexions continentales. Mais surtout, ce serait l’occasion de reprendre la croisade européenne : la diffusion des valeurs européennes et de l’idéal démocratique par le biais de l’économie. Lors du sommet UE-Chine de 2016, Jean-Claude Junker parlait de « partenaires », envisageant la relation européano-chinoise sous de bons auspices malgré les asymétries entre ces deux espaces.
Mais pour les avantages potentiels du projet pour l’Europe, « on repassera ». En effet, si la situation des exportations est déjà déséquilibrée en faveur de la Chine, les Nouvelles routes de la soie ne feraient qu’accentuer la tendance. Il s’agirait d’une ceinture, la Chine comptant profiter de cette initiative pour augmenter la dépendance économique, industrielle et manufacturière de ses « partenaires ». L’usage du Yuan s’en trouverait renforcé, et la Chine exercerait un contrôle plus étroit sur ses routes d’approvisionnement. Bingo, pourrait-on dire !
Sans oublier le risque sécuritaire porté par le projet. Le pouvoir du parti communiste en Chine fait s’imbriquer économie et politique. Les parties-prenantes au projet s’exposeraient à une ingérence de la Chine dans leurs affaires intérieures, notamment les pays dont la structure politique est instable. Pensons aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO) et à la Grèce. Ils n’ont pas hésité à rejoindre la Chine au sein du format 16+1 (2012) puis 17+1 (2019). De quoi rappeler à l’UE que l’harmonisation politique et sociale entre les territoires qui la composent brille par son absence …
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Tenant compte de ces enjeux, du manque de transparence du projet et des difficultés d’accès au marché chinois, la position européenne a évolué. Dans son dicours sur l’état de l’Union 2020, Ursula Von Der Leyen a parlé de la Chine comme un « partenaire » et un « rival systémique ». Les Nouvelles routes de la soie ne font pas l’unanimité en Europe, pour la dysmétrie politique et économique qu’elles impliquent. Et il devient complexe de soutenir une initiative portée par un pays se rendant coupable d’atteintes aux droits humains.
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Depuis 2019 : du partenaire économique au rival systémique
L’Union semble bien embarrassée face à l’attitude du géant chinois. D’un côté, son rôle de première puissance commerciale mondiale la place en position de force lors des négociations. De l’autre, elle fait parfois preuve d’une extraordinaire naïveté. Il aura fallu six années – laissant la Chine placer ses pions sur le Vieux continent – pour que l’Union s’éveille. Un réveil qui apparaît bien tardif. A tel point que l’Union ne parvient plus à défendre ses valeurs, s’unir sur le dossier chinois et s’implanter en Chine.
Dernier exemple en date, l’accord d’investissement conclu entre l’Union et la Chine. Sur le papier, « la Chine s’est engagée à offrir aux investisseurs de l’UE un niveau d’accès au marché plus élevé que jamais, […] à garantir un traitement équitable pour les entreprises de l’UE ». Ce qui a également fait couler beaucoup d’encre, ce sont les engagements qu’auraient pris la Chine vis-à-vis du travail forcé. Quelques jours avant ces négociations, le Parlement européen avait adopté une résolution à ce sujet. L’institution condamnait le travail forcé organisé par les autorités chinoises à l’encontre des minorités ethniques du pays, en particulier les Ouïghours. Le respect de l’accord sera garanti par un mécanisme de surveillance.
L’accord comporte toutefois de nombreuses failles. C’est en tout cas ce qu’estiment Frédéric Lemaître et Cédric Vallet, journalistes au Monde. D’abord, d’un point de vue commercial, l’accord aidera la Chine à assurer les garanties qu’elle a prises en termes de concurrence et de traitement des entreprises, mais ces garanties ne sont en aucun cas formelles. Dans la même veine, la Chine est uniquement encouragée à faire des efforts en termes de droits des travailleurs, mais sans obligation contraignante de résultats.
A terme, c’est finalement l’Union en tant que telle qui s’affaiblit. Et on imagine mal comment le vent pourrait tourner. D’un côté, le marché européen n’est que secondaire pour la Chine, dont le réseau est déjà mondialement implanté. À l’inverse, le marché chinois est fondamental pour l’Europe. Cette dichotomie empêche toute « négociation » au sens propre du terme … D’un autre côté, en son sein, l’Union se divise sur la question chinoise. Le format 16+1 puis 17+1 rend compte des obstacles à surmonter en interne, tout en créant de nouvelles divisions externes. L’Europe n’a donc pas d’autre choix que celui de prendre position face à la Chine, sans toutefois avoir les moyens de défendre cette position d’une seule et unique voix. Dilemme…