Les entretiens de Causons d’Europe #2 : L’engagement politique du club de football de Sankt Pauli17 minutes de lecture
Pour prolonger le papier d’hier, nous vous proposons aujourd’hui un entretien réalisé avec Xavier, animateur du fan club Sankt Pauli francophonie. Il existe depuis environ 10 et réuni 43 adhérents venus de France, d’Allemagne, de Belgique, des États-Unis ou de Norvège. Il est officiellement reconnu par le club et fait partie de l’assemblée des fan-clubs de l’équipe hambourgeoise.
Ecouter l’entretien en entier (35 minutes) :
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Causons d’Europe : Quelles sont les actions menées par le fan-club ?
On a un site qui donne de l’information politique liée au sport. Des rédacteurs font des comptes-rendus de lecture sur des BD, des ouvrages, des articles scientifiques ou de presse, qui nous offrent une ouverture sur la dimension politique dans le sport. Parallèlement à ça, on a des ventes de matériels de supporters (stickers, écharpes, t-shirts…) et avec ces bénéfices nous avons mis en place une cagnotte participative. Nous avons lancé un crowdfunding destiné à une association de soutien aux migrants sur la côte dunkerquoise. On a recueilli 650 euros. Un fan-club du Sankt Pauli se définit par la passion du club, du sport, du foot et le suivi des résultats sportifs évidemment. Mais le résultat sportif passe au second plan. Le cœur de la passion c’est comment on transforme le sport en un outil humanitaire, de soutien à des causes. De fait, quand on fonde un fan-club Sankt Pauli, on a en premier lieu, en ligne de mire, l’idée d’avoir une utilisé sociale.
CE : Sankt Pauli est un club atypique en Europe avec un engagement politique très présent. Comment en est-il arrivé-là ?
Le club a jusqu’au milieu des années 1980 un profil relativement standard. C’est un petit club de quartier dans Hambourg. C’est une équipe secondaire, sans orientation politique particulière. Elle se contente de participer à des compétitions de football et autres. C’est un club omnisport, dans l’esprit de l’associationnisme sportif allemand avec des clubs ouverts à leurs adhérents pour leur fournir une activité de loisir et de compétition. Dans les années 1980 se développe une forme de politisation d’extrême-droite dans les stades et en Allemagne ça prend au HSV, l’autre club de Hambourg. Une partie de ses supporters décide que, plutôt que d’aller dans les tribunes de leur stade entendre des chants racistes, ils vont se rendre au Sankt Pauli, dans un club un peu plus standard mais où ils seront mieux entourés, dans une meilleure ambiance, bon enfant. Cette première vague de supporters des années décide de changer de club. Parallèlement à ça on a en Allemagne et à Hambourg à cette époque-là le grand mouvement des autonomes (libertaires, communistes, anarchistes…). Ils décident d’occuper des quartiers entiers d’immeubles qui sont à l’abandon ou inoccupés et ont des prises de position contre le nucléaire, pour la paix… Ils se joignent à Hambourg, dans le quartier de Sankt Pauli, quartier très populaire, très prolétaire, aux fans qui viennent d’arriver du HSV. Cette double origine fait que la « scène des fans » va développer un caractère très propre, très particulier.
CE : Comment s’organise cet engagement politique ?
Au Sankt Pauli s’est développé un Fanladen, un bureau des supporters. Ce n’est pas qu’une boutique mais un ensemble de services pour les déplacements, l’acquisition des billets, un outil pour impulser dans les travées du club une vision un peu différente de ce que c’est être supporter. Aujourd’hui ça se traduit par un nombre assez important de structures qui regroupent des fans aussi bien au niveau local qu’au niveau international et qui leur permet d’avoir une voix et même d’impulser la ligne directrice aux clubs. C’est une grande différence du sport en Allemagne avec cet associationnisme sportif qui est présent. Le Sankt Pauli est parfois comparé au Red Star en France, à Livourne en Italie, à West Ham en Angleterre, au Rayo Vallecano en Espagne mais ça n’a pas tout à fait ce caractère-là dans le sens où c’est plus approfondi. La scène des fans du Rayo par exemple est très antifasciste mais n’a pas de pouvoir au sein du club. Le chef de file de Vox, le parti d’extrême-droite a pu se rendre au stade et être accueilli par le président contre l’avis des fans. Ce serait inconcevable au Sankt Pauli. De plus, il y a eu une loi en 1994 en Allemagne qui définit que tous les clubs de football doivent appartenir à leurs supporters à 51 % minimum. Parfois ça a été un peu foulé au pied. On trouve par exemple dans les statuts du Bayern quelque chose d’un peu particulier. C’est pareil avec le RB Leipzig qui a été racheté par Red Bull et qui est passé outre les principes de la loi. Quand on a de l’argent on peut se permettre de le faire et on n’est pas embêté. Toutefois, la loi est bien respectée dans la plupart des clubs comme à Fribourg où il y a un esprit très associationiste. Comme au Sankt Pauli, les fans décident un peu de ce qui se fait au sein au club. Ils sont majoritaires au conseil d’administration, les assemblées générales des fans sont très suivies et très importantes dans la vie du club. S’ils font n’importe quoi au niveau du directoire ils perdent leurs fans, leurs adhérents, leurs fonds, leurs sources de revenus.
CE : On a parfois des supporters très politisés mais une direction ou le club en général qui ne l’est pas forcément. Depuis 2009, à Sankt Pauli, une charte a été mise en place. Pouvez-vous nous expliquer son rôle et son importance ?
Le principe de cette charte c’est que toute personne dans les stades ou qui va prendre une carte d’adhérent va devoir se conformer à un certain nombre de principes ou de pratiques. Par exemple ne pas proférer de chants ou des cris racistes dans le stade, c’est la base fondamentale, mais aussi tout un tas de points qui sont développés : la lutte contre l’homophobie, la lutte contre le sexisme, permettre l’accès des femmes dans des bonnes conditions à tous les services du club et surtout dans les travées du stade. Ça se traduit aussi par des actions ponctuelles ou de plus long terme comme ne pas mettre de publicités avec des femmes dénudées dans le stade. Les principes de la charte ne sont pas écrits dans le vent. Ils sont appliqués à la lettre.
CE : C’est notamment le cas en 2019 lorsque le club décide de mettre de côté Cenk Sahin après son soutien à l’intervention turque en Syrie.
C’est important l’engagement contre les guerres. D’autant plus que là c’était une guerre contre un territoire lui-même en guerre civile, le Nord de la Syrie, le Rojava, qui a une forme d’autonomie partielle qui lui permet de développer des formes alternatives de gouvernance qui sont très proches des idéaux des fans du Sankt Pauli. Quand la Turquie attaque, Cenk Sahin dit que c’est cool d’être en guerre. On ne peut pas lui pardonner.
CE : Le club est aujourd’hui devenu une marque avec un logo iconique, le drapeau pirate. Comment est-il devenu un symbole du club ?
Dans cette scène des autonomes allemand, on avait Doc Mabuse, un anarchiste qui occupait des immeubles. Il était dans un immeuble de la Hafenstrasse, une rue qui donne sur le port de Hambourg. Il avait trouvé sur un marché un drapeau pirate, sachant qu’un des personnages historiques de Hambourg en est un. Il a ramené l’étendard dans les travées du club et c’est vite devenu très rapidement une icône. Le club l’a racheté en termes de droits d’images au début des années 1990 pour développer ses premières lignes de t-shirts puis c’est devenu un produit dérivé sous toutes les coutures. Doc Mabuse l’a un peu mauvaise aujourd’hui car c’est devenu un système marketing. C’est encore cet équilibrisme qui pose question. L’argent sert à payer les salaires des joueurs qui ne sont pas mirobolants et après c’est beaucoup pour les structures, les infrastructures du club mais qui sont aussi tournées vers le service social. Le club finance par exemple un centre de soin palliatif pour personnes atteintes du Sida dans le quartier, des nuits d’hôtel pour les sans-abris pendant les longues périodes hivernales d’Hambourg…
CE : De nombreux événements sont organisés au stade Millerntor qui arbore aussi des symboles forts comme par exemple le drapeau arc-en-ciel sur son toit depuis 2013. L’enceinte est-elle devenue le symbole de la tolérance et de l’ouverture aux autres ?
On peut voir le stade comme un lieu, un havre de sociabilité, d’inclusion. Ce n’est pas juste un lieu de spectacle, c’est un lieu de vie. On rencontre, on débat, on agit, on change le monde. C’est un lieu politique au sens noble du terme.
CE : Le club est très impliqué dans la cause des réfugiés. C’est dans cette optique qu’il a fondé le FC Lampedusa.
Ce sont des membres des équipes féminines de foot en 2015 qui décident de créer un club semi-professionnel pour accueillir les réfugiés qui ont une pratique du football dans leur pays d’origine et leur permettre par cette pratique du football de pouvoir commencer des démarches de stabilisation de leur statut en Allemagne, à Hambourg. Ils savent faire quelque chose de concret, jouer au football. Ils n’ont pas encore un statut pro mais ils peuvent commencer à faire d’autres démarches et commencer à vivre normalement. Lampedusa a son propre terrain, prêté par la ville, ils ont le matériel, les maillots produits en ligne de production par Sankt Pauli.
CE : Au Sankt Pauli le militantisme dépasse le côté sportif. Est-ce que jouer en Bundesliga n’offrirait pas une vitrine supplémentaire à la seconde division ?
C’est un grand débat au sein de la scène des fans. Une certaine partie estime qu’atteindre la Bundesliga, se maintenir et faire des performances respectables, sans tomber dans le délire de jouer la Ligue des champions, mais ne pas se prendre un 6-1 à chaque fois qu’on rencontre le Bayern, ça serait le but pour avoir une vitrine plus importante. Mais aussi pour se faire plaisir en termes de résultats. On aime bien voir notre équipe gagner même si ce n’est pas l’élément central. Une autre partie de la scène des fans pense que le plus important c’est ce qui est réalisé au sein du quartier, de la ville, de l’Allemagne et que la Bundesliga 2 c’est très bien pour le faire et on arrive à générer un engouement, un intérêt, une curiosité aussi bien en Allemagne qu’à l’étranger. Le club a des revenus marketing équivalent à ceux d’un club de première division anglaise, ce qui n’est pas négligeable. Maintenant, on peut se poser la question de la Bundesliga mais à quel prix ? Si on doit accueillir des Cenk Sahin pour gagner des matchs, on va se retrouver à se poser des questions sérieuses sur ce qu’on attend de nos joueurs. Si on doit accueillir n’importe quel footballeur, plus talentueux mais avec une base idéologique quelconque c’est plus compliqué. Si c’est juste pour gagner des matchs on va se retrouver avec de sérieux paradoxes.
CE : Les joueurs du Sankt Pauli sont-ils tous politisés ?
Ils savent où ils mettent les pieds. Quand ils arrivent au club ils font un tour du quartier, ils comprennent l’histoire, la sociologie, on leur présente les valeurs. Certains n’hésitent pas à montrer qu’ils ont déjà un background antiraciste, antifasciste et à l’afficher parce qu’ils savent qu’ils sont au bon endroit pour le faire. Dans d’autres clubs ils ne pourraient pas ou n’oseraient pas. Le football professionnel aujourd’hui gomme les individualités. Il est très difficile d’être homosexuel dans le football aujourd’hui. Au Sankt Pauli, si un joueur déclarait qu’il l’était, il serait accueilli les bras ouverts. Chez nous, jamais il ne se sentirai obligé de se taire, au contraire. Pareil avec un joueur qui a des bases antiracistes. On a un attaquant danois, Simon Makienok, qui n’est pas l’un des plus performants mais on l’aime beaucoup parce qu’il poste des trucs intéressants sur Instagram. C’est pareil pour d’autres joueurs qui ont des valeurs en consonnance avec ce qu’on défend.
CE : Une partie des supporters de Sankt Pauli sont issus du Hambourg SV dans les années 1980 après une droitisation d’une partie de la tribune. Cette droitisation est-elle toujours présente et quelles sont vos relations avec ce club et ses supporters ?
Ça s’est un peu effacé. Tous les supporters du HSV qui ont des sensibilités humanistes ne sont pas tous passés au Sankt Pauli. Au contraire, ils se sont organisés au sein de leur propre club, sous l’impulsion évidemment de ce qui se faisant au Sankt Pauli, en disant qu’il ne fallait pas accepter ça chez eux. Il y a un travail qui est fait, par exemple avec les réfugiés. Bakery Jatta, un de leur ailier, est un ancien réfugié. Ils l’ont intégré au sein des équipes de formation puis en équipe première. Au sein de la scène des fans du HSV, il y a des gens qui font un très bon boulot. Il y a des initiatives intéressantes mais il y a toujours une frange qui dérange. Dans un stade si on les laisse s’exprimer, si on recule, eux vont avancer. Si on ne se manifeste pas pour aller au fight ils vont prendre de l’espace. Même le directoire du HSV s’est posé la question. Ils n’ont pas été aussi loin que le Sankt Pauli mais ils ont fait beaucoup. Les derbys restent corrects parce que ça peut être des gens de la même famille, du même quartier, de la même usine, du même bureau. Ça reste un derby donc il y a un enjeu sportif, symbolique mais ça reste vivable. Les clubs avec lesquels on a le plus de mal c’est Lübeck ou le Hansa Rostock avec une politisation de l’autre côté. Les rencontres entre supporters pendant les défilés avant les matchs ou entre blocs de supporters qui se rendent au stade, sont beaucoup plus risqués. Là c’est vraiment très politisé, ce n’est pas qu’une question sportive. Rostock c’est la ville où on a eu des foyers de travailleurs immigrés qui ont brûlé dans les années 1990 et où les signes nazis sont assez fréquents. C’est plus avec eux qu’on va avoir des problèmes.
CE : Les directoires de ces clubs sont-ils liés à l’extrême-droite ou est-ce juste une partie des supporters ?
À Rostock, qui va monter en 2e division cette année, ils ont un directoire qui n’est pas néonazi. La scène de fans, organisée n’a pas ce caractère-là. Maintenant, ils ont une scène des fans parallèle, underground, qui a cette tendance très nette à valoriser des choses nauséabondes. Est-ce que le directoire fait le travail à 100 % ? Ça reste sujet à caution. S’il existe encore ces gens-là dans les travées c’est qu’il n’y a pas eu une politique très claire du club à ce niveau-là. Mais j’ai tendance à penser qu’il n’y a pas aujourd’hui en Allemagne un endroit, une ville, un club où le néonazisme fait consensus et peut avancer au niveau institutionnel. Il ne peut avancer que dans l’ombre. Une ombre plus ou moins complète car on les voit quand même mais on ne peut pas envisager que j’ai des ennemis absolument certains parce qu’ils viennent du Hansa Rostock. Au contraire, on a des gens du Hansa Rostock qui viennent vers nous, qui dialoguent. Ça serait très simple de penser tout noir ou tout blanc. Pareil, on a des gens au Sankt Pauli qui n’ont pas tout compris à nos valeurs.
CE : Le Football club United of Manchester a été créé par des supporters mécontents de la politique de Manchester United. Le PAC Omonia 1948 l’est pour les fans déçus de l’Omonia Nicosie, supporters très à gauche qui ont protesté contre la nouvelle ligne de leur club. Avez-vous peur que le foot business ne vous dévore vous aussi petit à petit ?
Ça peut tenir à partir du moment où les lois du pays, les règlements déterminés au niveau de la DFB (Deutscher Fussball-Bund – Fédération allemande de football) ou de la DFL (Deutsche Fussball Liga – Ligue allemande de football) permettent à ce qu’on continue à exister en tant que tel. Maintenant si les modèles comme le RB Leipzig, le Bayern ou d’autres prennent de la place supplémentaire et que l’autorisation de fonctionner différemment devient la règle, on aura du mal à exister en tant que club différent. On a un dynamisme de la scène des fans qui va toujours contrecarrer ces projets-là. Je pense qu’on en est loin. Défaire la loi de 1994 n’est pas évident, c’est l’esprit sportif des clubs allemand, ça remonte au XIXe siècle, à la fondation des clubs dans les années 1890. Je suis assez optimiste. Le Sankt Pauli a réussi à se faire accepter en tant que tel. En 2001 par exemple, lorsque le club chute et est relégué en 3e division, le Bayern vient donner son coup de main en organisant un match de gala pour permettre de recueillir des fonds et permettre au club de se refinancer. Il y a quand même une acceptation des autres clubs du fait qu’on est différents. On n’est pas en opposition globale et frontale sur tout, avec tous les partenaires.
CE : L’équipementier, DIIY une création du club a pris le relais d’Under Armour. Est-ce que ce genre d’initiative c’est aller contre l’idée de foot business en s’éloignant des grandes marques ?
Effectivement, on savait que les dirigeants d’Under Armour avaient des positions qui n’étaient pas compatibles. Ça a suscité un débat. Comme toute association qui se respecte, la vie démocratique se fait autour de questions débattues. La direction, avec l’impulsion de la scène des fans a décidé qu’ils allaient faire produire ces maillots. Ça a 2 sens. On n’est plus dépendant d’une marque, on n’a plus un contrat à signer où on perd une partie des bénéfices. Et ça permet de faire tourner des lignes de production avec des matériaux de recyclage et des employés issus d’une boite qui respecte les droits sociaux. On a une vue claire sur ce qui est fait. Tout au Sankt Pauli fonctionne ainsi. La captation des ressources en Allemagne n’est pas un problème. On a un système, on est dedans, on ne peut pas faire autrement, on aimerait qu’il soit différent mais il ne l’est pas et on fait en sorte de redistribuer. On peut reprocher parfois au Sankt Pauli ce jeu d’équilibriste, de dire on est différent des autres mais d’être malgré tout dans le système. Le souci c’est la redistribution, la répartition des richesses.
Interview et transcription : Paul Vuillemin
Montage : Léo Humbert