Privatisation de la santé et Covid-19 : mélange mortel4 minutes de lecture
Alors que l’Europe a dépassé le nombre de 700 000 décès liés au Covid-19, le groupe de recherche Corporate Europe Observatory (CEO), qui étudie les lobbies présents à Bruxelles, a publié début janvier un nouveau rapport. Intitulé « When the market becomes deadly » (« Quand le marché devient mortel », en Français), ce rapport met en lien la casse des services publics de santé à travers l’Europe et la difficulté des États à faire face à la pandémie de Coronavirus depuis presque un an.
Privatisation et logiques néolibérales contre la santé publique en Europe
Dès 2017, Corporate Europe Observatory alertait quant à la privatisation du système de santé des États européens. Une marchandisation du domaine de la santé encouragée par l’Union européenne qui considère les services rendus par les systèmes de santé nationaux avant tout comme une « activité économique ». Ce qui revient à considérer que la santé est un service comme un autre, qui peut être soumis aux lois du marché, de l’offre et de la demande et laissé aux entreprises privées.
Pour Christoph Hermann, sociologue à l’Université de Berkeley, l’Europe a connu – et connaît toujours – un processus de marchandisation de la santé depuis plusieurs décennies. C’est-à-dire un passage de l’offre de santé du secteur public, non-marchand, vers le secteur marchand, en la commercialisant, dans le but d’en tirer un profit. Mais il ne s’agit pas seulement d’organiser un marché privé de la santé, par exemple à l’échelle du marché intérieur de l’Union européenne. Il a aussi consisté en des coupes budgétaires (69 000 lits d’hôpitaux ont fermé en France entre 2003 et 2019), accompagnées de sous-traitance, de partenariats public-privé, voire même la vente pure et simple d’établissements de santé à des investisseurs privés.
Les représentants du lobby des hôpitaux privés siègent bien à Bruxelles, au travers de l’Union européenne de l’hospitalisation privée (UEHP). Ceux-ci jugent notamment que les inégalités dans l’accès aux soins ne sont pas la responsabilité de l’existence d’un service de santé privé hors de prix, mais du refus du secteur public de prendre en charge les coûts d’hospitalisations des patients accueillis par les hôpitaux privés. Curieuse conception de la privatisation.
Un système de santé démuni face au Covid-19
Entre les coupes budgétaires de l’hôpital public, qui signifient diminution des moyens et réduction des effectifs humains et la privatisation croissante du système de santé des États, l’Europe s’est donc retrouvée relativement démunie face à la pandémie de Covid-19.
Les auteurs du rapport mettent en avant le cas de l’Italie, pays particulièrement concerné par la privatisation de la santé, qui a vu son nombre de lits pour 1 000 habitants passer de 7 en 1990 à 2,6 en 2015, alors que l’Italie ne compte plus que 68% de ses lits dans le secteur public et 32% dans le secteur privé. Cette importante privatisation a en plus aggravé la diminution du nombre de lits en services de réanimation. Sur les 5 300 lits en soins intensifs que comptait l’Italie au début de l’épidémie, seulement 800 étaient dans le secteur privé. Avec 15% des lits en soins intensifs, on est bien loin de la part des 32% de lits que constitue le secteur privé dans le total. En fait, l’hôpital privé laisse volontairement de côté ces activités, moins profitables, à l’hôpital public, pour se concentrer sur des activités moins coûteuses. Ce phénomène se retrouve dans tous les pays européens.
Selon les auteurs du rapport, une plus grande privatisation du système de santé, devenu moins efficace pour répondre à des situations de crise sanitaire comme celle que nous connaissons actuellement, abouti à une surmortalité des malades. Dans le cas de la pandémie de Covid-19, une augmentation de 10% des dépenses de santé privée aboutirait à une augmentation de 4,9% du nombre de morts liés au virus.
Et après le Covid-19 ?
L’inefficacité de l’hôpital privé dans la lutte contre le Covid-19, auquel il faut ajouter son coût pour les citoyens européens, devraient suffire à décider l’abandon des logiques néolibérales de coupes budgétaires des systèmes de santé publics et à mettre fin à toute forme d’encouragement de la privatisation de la santé.
Pourtant c’est tout à fait le contraire qui pourrait se produire. Tout d’abord parce que les hôpitaux privés se placent en bonne position pour continuer à faire valoir leurs intérêts, en dépit de toute analyse de leur contribution réelle à la gestion de la crise. Ensuite parce que la dette accumulée par les États européens pour faire face à la crise sanitaire et sauver leurs économies finira par se heurter aux principes de la gouvernance économique européenne dès lors que le Covid-19 sera vaincu. Le remboursement de la dette pourrait alors continuer à servir de prétexte à de nouvelles coupes budgétaires des services publics, y compris dans le domaine de la santé.